Un an avant le FULL METAL
JACKET de Stanley Kubrick, le monolithe Eastwood se frotte avec
délectation à l'un des sous-genres du film de guerre : le boot-camp
movie (comprenez "film de camp d'entraînement"). Outre la valeur
légèrement autobiographique du film (il est de notoriété publique
qu'Eastwood fut, pendant ses propres classes, une recrue au moins aussi
dissipée que celles du sergent Highway), LE MAÎTRE DE GUERRE véhicule
une ironie devastatrice entre répliques über-viriles mémorables et un
humour potache bien pensé.
Droit dans ses bottes, voix
rocailleuse et physique impressionnant malgré un âge déjà avancé (56 ans
à l'époque du tournage), Clint Eastwood aborde frontalement, pour la
première fois de sa carrière, le thème du héros vieillissant, faisant la
nique au jeunisme triomphant d'Hollywood. Face à des recrues arrogantes
et je m'en foutistes au possible, Eastwood oppose sa force tranquille.
Une façon de se moquer du jeune homme qu'il fut un jour mais aussi d'une
industrie cinématographique qui valorise les gros bras et les grandes
gueules à la Schwarzenegger et à la Eddie Murphy qui ne savent qu'épater
la galerie. Highway, au contraire, agit vite et bien, sans se la
raconter. Il faut le voir envoyer au tapis un colosse bodybuildé de
trente ans son cadet en deux temps trois mouvements.
Pour autant, cette débauche
d'héroïsme old school ne masque pas le discours farouchement
anti-militariste du film. Contrairement aux idées reçues, LE MAÎTRE DE
GUERRE n'a rien d'une œuvre bêtement patriotique. Au fil des séquences,
la carrure de Tom Highway s'effrite et perd de sa superbe. Incapable de
parler aux femmes avec la moindre sensibilité, c'est un homme qui va peu
à peu se rendre compte qu'il a tout simplement gâché sa vie. Ses amis
sont morts et, aux yeux de sa hiérarchie, il n'est rien d'autre qu'un
dinosaure. Totalement obsolète. Le climax du film qui relate l'invasion
de Grenade en octobre 1983 dépeint un épisode guerrier sans relief, presque une
farce. La guerre fantasmée par les recrues de Highway, désormais
gonflées à bloc, n'aura pas lieu. Plus de héros. Plus de conflits
spectaculaires.
Dans les dernières minutes du
film, Eastwood acteur et réalisateur tacle tout sentiment de
triomphalisme en une seule réplique lapidaire. Au soldat qui lui avoue
vouloir faire carrière au sein du corps des Marines, Highway répond ceci
: "T'es encore plus con que ce que je croyais !". Message reçu cinq sur
cinq, sergent Clint !
Alan Wilson
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