Blog cinéma d'utilité publique

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lundi 9 février 2015

UNE GRANDE ANNEE / A GOOD YEAR (2006) DE RIDLEY SCOTT - LA CRITIQUE



Outre la satisfaction outrancièrement égoïste de pouvoir aborder en toute liberté des sujets qui vous tiennent à coeur, tenir un blog permet, pour peu que l'on soit lu par au moins 3 personnes (et les parents, ça ne compte pas), de faire entendre un avis contraire, une voix dissonante. Prenez A GOOD YEAR par exemple, la comédie romantique de Sir Ridley Scott avec Russell Crowe et Marion Cotillard. Mal vendu et maltraité par la majorité de la critique, le film s'est royalement planté au box-office et a été jeté aux oubliettes de l'histoire du 7ème Art manu militari. Un sort injuste. Une sentence bête et méchante. Me voici donc, tout fier avec ma belle cape (orange, j'aime bien cette couleur) de super bloggeur, prêt à réhabiliter ce magnifique petit bout de film, un vrai "feel-good" movie dans les règles de l'art.
Si Ridley scott décide de se lancer dans le projet d'une comédie romantique située en Provence, c'est qu'il a deux désirs bien particuliers qu'il tient à combler. D'abord, le cinéaste, comme bon nombre d'anglais, possède une maison en France et, plus précisément, dans le Lubéron, en Provence. Souvent contraint de parcourir le globe pour tourner ses immenses productions, Ridley Scott caresse de plus en plus l'idée de pouvoir tourner un petit film à "huit minutes de chez [lui]". Ensuite, parce qu'il n'est pas du genre à se reposer sur ses lauriers, le réalisateur britannique se verrait bien aux manettes d'une pure comédie, un genre qu'il n'a jamais abordé et qui semble bien loin de son registre habituel, plus sombre et violent que léger et sucré. Mais pour que puisse se concrétiser le projet rêvé, il manque tout de même l'essentiel : une histoire. L'homme providentiel se nomme Peter Mayle, auteur du best-seller A YEAR IN PROVENCE et ... voisin de Ridley Scott. Britannique lui aussi, Peter Mayle est un auteur à la carrière atypique. Stagiaire chez le pétrolier Shell, puis publicitaire, il s'est reconverti en écrivain vers la fin des années 70. Il a d'abord écrit des livres éducatifs sur la sexualité à destination des jeunes (si si !). Puis il a quitté le ciel chargé de l'Angleterre pour le soleil de la Provence. Et là, inspiré par le choc des cultures que sa famille et lui-même ont vécu, il y a trouvé le sujet de ce qui deviendra son grand oeuvre, A YEAR IN PROVENCE donc, une autobiographie pittoresque et innofensive éditée en 1989. C'est ce ton que Ridley Scott souhaite imprimer à son futur film. Mais plutôt que d'écrire un scénario, ce qu'il refuse, Peter Mayle préfère s'atteler à un roman dont il propose de céder les droits à l'avance, laissant Scott et son scénariste Mark Klein l'adapter à leur guise. A GOOD YEAR est né. Le roman est édité en 2004 et le film lui emboîte le pas deux ans plus tard.

Des différences notables entre le roman et son adaptation pour le grand écran sont à signaler. La première et la plus importante concerne Max Skinner, le protagoniste principal. Le personnage incarné au cinéma par Russell Crowe, charismatique, séducteur, arrogant, est un Gordon Gekko british en puissance, un salopard qui malgré ses pirouettes à la limite de la légalité sait qu'il a un avenir brillant dans le monde de la finance. Ce qui est loin d'être le cas de son équivalent sur papier, ruiné et en disgrâce dès le début, sans autre choix que de partir vivre dans le domaine viticole du Lubéron laissé en héritage par feu son oncle Henry. Il y a également l'intrigue, qui diffère sensiblement entre le roman et le film. Dans le roman, Max tombe sous le charme de deux femmes, la notaire Auzet (jouée dans le film par Valéria Bruni-Tedeschi) et Fanny (Marion Cotillard) là où le film se concentre sur la romance avec cette dernière. Dans le roman, le Coin Perdu, la récolte presque clandestine et prestigieuse du domaine est au centre de l'histoire, source de multiples rebondissements, là où le film la simplifie considérablement, s'en servant comme d'une métaphore qui illustre les trésors cachés d'une existence simple et saine. 

Déjouer les attentes et s'épanouir dans le contre-emploi, voilà sans doute la marque des plus grands artistes. A GOOD YEAR n'a ni les ambitions, ni le ton d'un BLADE RUNNER, d'un ALIEN ou d'un GLADIATOR. C'est un film purement récréatif, une bluette joilment naïve, une comédie romantique qui ne cherche même pas à rivaliser avec les classiques du genre. Ce qui ne veut pas dire que Ridley Scott traite son film par dessus la jambe, avec dédain. Non seulement la forme est toujours aussi remarquable et chatoyante, mettant en valeur des paysages naturels rarement exploités au cinéma (ce qui est un crime). Mais c'est surtout le rythme, l'élément essentiel dans une comédie, qui est ici épatant. La première moitié va crescendo, tempo endiablé hérité de la vie trépidante de trader de la city du héros. Le point culminant est atteint lors d'une scène tout bonnement incroyable où Russell Crowe et Didier Bourdon (drôle et toujours juste) s'affrontent sur un cour de tennis, scène d'action improbable mais savoureuse au son du Jump Into The Fire de Harry NIlsson. La seconde moitié se détend progressivement, alors que le héros s'adapte et prend goût à sa nouvelle vie. L'amour vrai prend le pas sur le rire facile et l'ironie. Le propos du film tout entier tient dans ce glissement rythmique. La superficialité doit laisser sa place à l'émotion. Cette leçon de vie, toute bête mais finalement essentielle, le cinéaste nous l'offre sans nous l'enfoncer dans le crâne, avec un sourire complice, un verre de vin à la main,un cigare au coin des lèvres. Comment ne pas voir dans le personnage du vieil oncle Henry interprété par Albert Finney un portrait du cinéaste lui-même. 

Oui, pas de doutes possible, A GOOD YEAR est bien un film de Ridley Scott mais un film lumineux. La déclaration d'amour d'un anglais au bon vivre du sud de la France. Certains n'y verront qu'une carte postale prévisible. Tant pis pour eux. Qu'ils laissent à ceux qui ont un coeur le bénéfice de jouir d'un film sincère.

Alan Wilson    


Le roman de Peter Mayle
  
    

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