Tout
ce qu’il est nécessaire de retenir pour savourer sans retenue le
neuvième film de Big John Carpenter peut se résumer ainsi : l'inversion
des valeurs. Prendre le cliché du buddy-movie et le retourner. Le concept est simple, connu même, mais génial. Et drôle surtout. Le
héros, Jack Burton (Kurt Russell, hilarant à force d’être à côté de ses
pompes) se comporte comme l’acolyte, et l’acolyte, Wang Chi (Dennis Dun,
énergique et charismatique à souhait), comme le héros. C’est sans doute pourquoi
LES AVENTURES DE JACK BURTON … fut un bide sans appel à sa sortie
pendant l’été 1986.
A
l’origine, il y a un scénario de W.D. Richter (également à l'oeuvre sur
L’INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURE pour Philip Kaufman et
réalisateur des AVENTURES DE BUCKAROO BANZAÏ A TRAVERS LA 8ème
DIMENSION, de la science-fiction barrée et résolument culte) qui mêle western et comédie fantastique. Jack Burton y est
un cowboy vantard, héroïque mais pas bien futé, débarquant à San
Francisco et qui, pour retrouver son cheval qui lui a été volé, va se
perdre dans Chinatown, ses légendes et ses fantômes. En acceptant de porter cette histoire à l’écran, Carpenter opte très vite de la transposer dans un univers contemporain. Une concession
faîte au studio et au public, qui n’a plus vraiment le goût des
westerns. Jack Burton le cowboy devient donc Jack Burton le camionneur. Au final, aucune importance. Parce que Jack Burton
reste un idiot dépassé par les évènements. Et parce que c’est à
l’asiatique que revient le privilège de botter des culs et de secourir
sa promise des griffes du maléfique Lo Pan.
Le
tournage, qui marque la quatrième collaboration de John Carpenter avec
son acteur fétiche Kurt Russell, se déroule sans le moindre problème et
sans intervention aucune des exécutifs. Plutôt surprenant lorsque l’on
sait que la Twentieth Century Fox y a injecté la coquette somme de 25
millions de dollars et espère tenir là l'un des gros succès de l'été. Seul un nouveau
prologue, censé rendre Jack Burton plus « héroïque » (le vieux Egg Shen
vante les mérites du camionneur à son avocat), sera tourné à la demande
de l’un des producteurs, Barry Diller. Pour le reste, pas de doutes, le
métrage est conforme aux intentions du cinéaste. C’est un hommage
flamboyant et généreux aux wu xia pan de la Shaw Brothers, aux premiers
films de Tsui Hark (ZU ET LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE est cité
plus d’une fois) mais aussi à la série japonaise des BABY CART (les trois trombes). Bien
avant MATRIX où TIGRE ET DRAGON ne le rende in, John Carpenter met le cinéma asiatique à
l’honneur dans un blockbuster américain.
Qu’est-ce qui cloche alors ? Pourquoi diable LES AVENTURES DE JACK BURTON … s’est-il planté en salle ?
Le
service marketing n'a eu de cesse de se demander pourquoi Jack Burton
ne se conduisait pas plus en héros, pourquoi sa romance avec la
magnifique Kim Catrall échoue sans appel (« Vous n’allez pas
l’embrasser, Jack ? – un court moment de réflexion – « Non. ») et
surtout, surtout, pourquoi on accorde tant d’importance à l’histoire
d’un jeune restaurateur chinois amoureux et qui ne recule jamais devant
le danger. Ces braves commerciaux se sont tout simplement retrouvés dans
une impasse. Comment vendre un film que l’on ne comprend pas à un
public dont on est plus ou moins certain qu’il ne le comprendra pas non
plus ? Ne cherchez pas. Ils ne prirent même pas la peine de le vendre. Et bien que superbes, les affiches signées Drew Struzan étaient tout autant à côté de la plaque.
Ironie
du sort, dix-neuf ans après sa sortie, le film s'est largement rentabilisé grâce à la vidéo et occupe une jolie place dans le cœur des cinéphiles. Laissons donc le mot de la fin à Kurt Russell : « On
aime le film ou on le déteste, mais c’est généralement une bonne façon
de savoir si ceux qui l’ont vu ont ou pas le sens de l’humour. » Bien
dit.
Alan Wilson
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