SHINING, c'est un peu la revanche de Stanley
Kubrick sur un public qui, malheureusement, bouda son somptueux BARRY LYNDON. La fresque en costume est dépassée ? Le public veut de la violence et de la trangression ? "Ok !" a forcément du se dire Kubrick, avant d'ajouter : "je vais vous offrir ce que vous voulez, le film
d'horreur ultime, démesuré." Et, d'une facon ou d'une autre, on ne peut pas dire qu'il y soit allé avec le dos de la cuillère !
Trahissant sans vergogne le roman original de Stephen King (l'histoire est grossièrement mais le ton et la psychologie des personnages ont subi des changements radicaux), le barbu génial accumule avec un sérieux (vraiment ?) papal tous les types d'excès possibles. Jusqu'à la lisière du
ridicule. Les violons hurlent jusqu'à la stridence la plus
insupportable possible. La violence de toute la production de l'époque
est dépassée - noyée même ! - en un seul plan qui voit les couloirs de
l'Overlook submergés par des hectolitres de sang. Shelley Duvall,
l'héroïne, bat des records d'hyperventilation et de mimiques paniquées
et apeurées. Et que dire de Jack Nicholson, lui qui se transforme carrément avec force
haussement de sourcils en grand méchant loup, hache à la main ?
Un an
avant le EVIL DEAD de Sam Raimi, Kubrick livre avec ce SHINING un film
d'horreur tellement grand-guignolesque dans ses partis pris qu'il frise
à plus d'un moment la parodie. Si vous en doutez encore, rappelez-vous ce long zoom arrière
sur le cadavre frigorifié de l'écrivain Jack Torrance (Nicholson),
éternellement figé dans une impayable grimace de surprise et de
mécontentement absolu. Un tel plan n'aurait guère semblé déplacé dans un
bon vieux Tex Avery ou Chuck Jones des familles. Hilarant. Mais aussi flippant. Mais hilarant quand même. Vous voyez où je veux en venir ?
Jack Nicholson/Torrance, coyote gelé ? |
Mais
SHINING n'est pas qu'un bel exercice de style. En toile de fond, et toujours dans un
esprit profondément revanchard, Stanley Kubrick taille un joli costard à la
sacro-sainte cellule familiale américaine. En la décrivant comme pourrie
et ce, dès le départ (le père, ancien alcoolique au regard inquiétant, la mère
amorphe, le fils à la limite de l'autisme). Il en faut bien peu à la famille Torrance pour se désintégrer de l'intérieur à toute vitesse. Et avec elle, le rêve
américain d'une saine normalité.
Avec
un humour féroce, cynique, SHINING terrifie autant qu'il amuse. Un vrai
train fantôme qui n'hésite pas à renvoyer le spectateur au psychopathe
qui, c'est inéluctable, se cache en lui. Et Stanley Kubrick inventa ainsi le
cadeau piégé. Dans la symétrie impeccable de sa mise en image, la folie et le meurtre s'exposent au grand jour.
Alan Wilson
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