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samedi 4 avril 2015

LA FORTERESSE NOIRE / THE KEEP (1983) DE MICHAEL MANN - LA CRITIQUE


Peu de films portent aussi bien le qualificatif de "film maudit" que le second long-métrage de Michael Mann. Tournage cauchemardesque au Pays de Galles sous des pluies torrentielles, remontage violent et discutable par le studio, échec critique et publique, désaveu total de F. Paul Wilson, l'auteur du roman dont est adapté le film, et aujourd'hui, alors que les supports dvd et blu-ray permettent à de tels œuvres de ressusciter et d'être réévaluées (voir notamment le NIGHTBREED de Clive Barker, mais c'est là un sujet pour une autre fois), LA FORTERESSE NOIRE n'est toujours pas sorti en vidéo. Sauf si l'on compte d'antédiluviennes vhs et une édition laserdisc bien précieuse. Bref, tenter de voir le film de Michael Mann dans une version pourtant mutilée n'est pas loin de relever du parcours du combattant. 
Que peut-on retirer de l'expérience que constitue LA FORTERESSE NOIRE, pour peu que l'on parvienne à mettre la main dessus ? Une immense satisfaction ... et une frustration à peu près égale. On estime que le montage initial de Michael Mann atteignait presque 3h30 et, si c'était bel et bien le cas, les bouchers de la Paramount en ont jeté plus de la moitié, ne nous laissant que 90 misérables minutes. Difficile, dans ces conditions déplorables, d'appréhender correctement le métrage, unique incursion du réalisateur de HEAT dans le fantastique. Ce qui est bien dommage puisque le cinéaste révèle de bien belles aptitudes en la matière. Portées par les nappes synthétiques abstraites et entêtantes de Tangerine Dream, les images de LA FORTERESSE NOIRE convoquent une imagerie gothique et onirique d'une beauté stupéfiante. L'état de rêve (ou cauchemar, c'est selon) éveillé dans lequel baigne tout le film fait bien souvent penser à LA COMPAGNIE DES LOUPS de Neil Jordan ou au LEGEND de Ridley Scott (au final d'ailleurs similaire et dont le montage américain s'offre une musique alternative signée ... Tangerine Dream), des films pourtant sortis plus tard. 
Sur le plan de la narration, le film souffre énormément de ses coupes nombreuses. Les ellipses sont maladroites et nuisent au suspense et au rythme. Et dès que l'on en vient aux nombreux personnages qui peuplent le récit, c'est encore pire. Tous sont complexes et passionnants ... mais ils ne sont que vaguement esquissés. Le montage, incapable de se tenir à un point de vue en particulier prive le récit d'un point d'ancrage émotionnel pourtant vital. LA FORTERESSE NOIR s'ouvre sur l'arrivée du Capitaine Woermann (Jurgen Prochnow) avant de le laisser tomber pour introduire brusquement le mystérieux Glaeken (Scott Glenn) dont le périple cède trop vite la place à la confrontation entre Woermann et le sadique SD Sturmbannführer Kaempffer (Gabriel Byrne) pour ensuite embrayer sans trop de cérémonie sur le Dr Cuza et sa fille Eva (Ian McKellen et la récemment disparue Alberta Watson), le tout en tentant de développer un minimum la tension autour de l'entité qui hante la fameuse forteresse du titre, le démon Molasar, et de construire une love-story sur le tard. Argh ! C'est trop, beaucoup trop pour être survolé de la sorte. La réflexion sur la nature du Mal ambitionnée par Mann ne parvient guère à s'exprimer comme elle le devrait. Il faut donc se contenter d'une foultitudes de détails fabuleux, tel que la rivalité entre ss et soldats de la wehrmacht qui évite de faire des allemands de simples méchants de bande-dessinée, ou encore cette brève séquence en camps de concentration où juifs et tziganes partagent leur malheur, donnant ainsi à cette évocation de l'Holocauste en cours une étendue et une complexité bienvenue. Vous l'aurez compris, il y a bien un grand film d'une richesse incroyable qui se cache derrière ce remontage.
Toutefois, si il est bien un défaut qu'aucun director's cut ne semble pouvoir corriger, c'est Molasar lui-même. Handicapées par des effets spéciaux défaillants, ses ultimes apparitions flirtent dangereusement avec le z pur et dur. D'entité brumeuse millénaire et terrifiante (son introduction lors du sauvetage d'Eva des griffes de deux nazis violeurs est sublime), la créature prend bien vite la forme d'un golem ... caoutchouteux et figé, tout droit sorti d'un épisode de SanKuKai. Lorsque l'on sait que Enki Bilal a participé à sa conception, c'est un brin rageant ! C'est alors tout le climax qui pose problème et le combat entre Glaeken et Molasar est carrément bâclé. Sans doute plus habile dans la suggestion et l'onirisme que dans le fantastique frontal et viscéral, Mann se livre à une resucée maladroite du final des AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE. Bizarre. Même si une poignée de plan spectaculaire sur des charniers de nazis calcinés baignant dans une brume épaisse sauve les meubles. 

L'ignoble Molasar ... dans tous les sens du terme !


LA FORTERESSE NOIRE est un film unique, étrange, et bancal, loin du chef d’œuvre qu'il aurait pu être. Il se doit d'être vu car il porte la marque indélébile de son auteur, Michael Mann. Ce qui, vu l'état dans lequel il se trouve, est en soi un petit miracle. 

Alan Wilson        

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