En transposant sur grand écran l’univers musical
ultra-référentiel du duo Aykroyd/Belushi (qui interprétait les frères
Blues pour le public du Saturday Night Live depuis 1976), John Landis
s’est retrouvé face à un défi de taille : comment diable éviter de trop diluer
sur la longueur d’un long-métrage ce qui n’était à l’origine que de
courtes et énergiques prestations scéniques ? Pour résoudre ce
casse-tête, Landis, alors au zénith de sa créativité, a choisi la
méthode la plus frontale, la plus décomplexée : livrer un grand spectacle frénétique et
destructeur ne reposant que sur un scénario prétexte, tout en délivrant un
message d’amour, de paix, de rock n’roll et de désobéissance
généralisée avec un sérieux imperturbable et une sincérité en béton.
S’il
reste conçu et pensé pour le cinéma (Landis exploite son imposant
budget avec une belle générosité), THE BLUES BROTHERS ne renie pas pour autant
ses origines télévisuelles puisque, en soi, le film n’est ni plus ni
moins qu’une enfilade de sketch reliés entre eux par un argument
simplissime (sauver un orphelinat déficitaire en organisant un
gigantesque concert de blues), une justification aussi absurde que
géniale (les Blues Brothers sont en mission pour le Seigneur !) et
une enfilade d’antagonistes/running gags carrément irrésistibles (un
duo de troopers hargneux, des nazis, un groupe de country ou encore
Carrie Fisher et son arsenal à faire pâlir n'importe quel texan de jalousie). Le tout
ponctué de numéros musicaux soignés et rythmés, destinés à remettre sur
le devant de la scène un all-star cast alors en passe de virer has been
(Ray Charles, Aretha Franklyn, James Brown, Cab Calloway, John Lee
Hooker). Pour éviter la lassitude que pourrait engendrer un tel procédé,
John Landis construit son film en un crescendo totalement maîtrisé,
jusqu’à une dernière demi-heure divinement euphorisante où se succèdent un concert monstre et une homérique course-poursuite motorisée qui, en plus de
pulvériser des records en matière de tôle froissée, de vitesse et de
figuration policière, se permet également de résoudre la totalité des
sous-intrigues cumulées et … de faire décoller les voitures au son de la
Chevauchée des Walkyries.
La
complémentarité et la force comique de Dan Aykroyd (alors svelte) et de
John Belushi (capable de jongler comme personne entre statisme et
bouffonnerie) est, quant à elle, la pierre angulaire du film. Animés par
une passion commune et sans borne pour la musique noire américaine, les
duettistes saisissent l’opportunité du long-métrage pour dresser le
portrait, parfois inattendu (et pas si éloigné que ça du Philadelphie du
ROCKY de John G. Avildsen), du Chicago des sans grades, entre pauvreté
chronique et optimisme sans limite. Ainsi, les Blues Brothers ont beau
être menteurs, voleurs, et irrespectueux de la loi et de l’ordre, ils se
battent pour une cause juste. Frères blancs délaissés par leur parents,
ils se sont construit une identité métissée dans un orphelinat
religieux et se veulent (peut-être un peu malgré eux) les champions de
la lutte des classes comme en témoigne l’impayable scène du restaurant
où ils se font un plaisir de gâcher une soirée de la haute société afin
de débaucher un de leur ancien musicos devenu serveur propre sur lui. Et
quand ces dernier prêchent l’amour (même à une bande de rednecks avides
de country music et de bières) ils visent des valeurs essentielles tels
que la tolérance et la liberté. Révolutionnaire, les Blues Brothers ?
Un peu, mon neveu. Sans eux, il y a fort à parier que les films des Adam
Sandler, Ben Stiller, Mike Myers et autres Will Ferrell ne seraient pas
les mêmes. Ils sont les pères de la nouvelle comédie américaine, ce
mélange de régression et de naïveté, le tout animé de vrais ambitions
d’auteurs.
Alan Wilson
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