Blog cinéma d'utilité publique

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vendredi 6 mars 2015

LE DERNIER LOUP / WOLF TOTEM (2015) DE JEAN-JACQUES ANNAUD - LA CRITIQUE




C'est un fait, Jean-Jacques Annaud ne renoncera jamais à son goût pour les défis cinématographiques les plus complexes. C'est ce qui fait sa force. C'est ce qui le pousse à continuer. Adaptation d'un best-seller chinois controversé (LE TOTEM DU LOUP, de Jiang Rong, longtemps vendu sous le manteau), LE DERNIER LOUP est d'ailleurs le pari le plus fou que le cinéaste français ait jamais eu à relever.
L'histoire qui nous est ici contée est celle de Chen Zen, jeune étudiant chinois de Pékin envoyé avec un ami en Mongolie intérieure pour passer deux années en compagnie d'une tribu de nomades. Le régime de Mao en est à ses débuts, la Révolution Culturelle bat son plein et la tâche confiée aux deux jeunes hommes est d'asurer l'éducation moderne de populations vivants encore dans le passé. Fasciné par la spiritualité des Mongols et les loups, vénérés comme des esprits, Chen Zen gagne vite le respect du patriarche local. Pourtant, sa décision de capturer et d'élever un louveteau menace l'équilibre des relations entre les hommes et les loups. Un équilibre déjà fragilisé par les braconniers et la modernisation forcenée de l'agriculture voulue par le Régime. 
En 1997, SEPT ANS AU TIBET, un film narrant la relation entre l'alpiniste autrichien Heinrich Harrer et le Dalaï Lama entre 1944 et 1951, avait conduit la Chine à déclarer Jean-Jacques Annaud (mais aussi les acteurs Brad Pitt et David Thewlis) personna non grata sur le territoire chinois. Après le divorce, la réconciliation, puisque LE DERNIER LOUP est une production chinoise. Un gros budget confié à un cinéaste jadis banni et aujourd'hui courtisé. LE DERNIER LOUP serait-il une sorte de mea culpa de la part d'Annaud, une oeuvre consensuelle à la gloire du Parti Communiste Chinois ? Mettons immédiatement fin à une quelconque polémique, LE DERNIER LOUP n'est rien de tout ça. S'il n'épargne pas le régime de Mao et les conséquences ici désastreuses de sa politique de modernisation, ce n'est pas un film politique. C'est une fable humaniste et écologiste. Néanmoins, la question restant légitime, pourquoi diantre les chinois ont-ils fait appel aux services d'un artiste dont ils ne voulaient même plus entendre parler ? La réponse est simple : par pragmatisme. L'OURS et DEUX FRERES font de Annaud le choix idéal pour un tournage avec des animaux sauvages. Il a déjà réussi autrefois et il est le seul à pouvoir y parvenir encore. Pragmatisme, les amis. 
LE DERNIER LOUP n'est pas une fresque animalière comme les autres. Ce n'est pas un film béat et l'anthropomorphisme des loups (un cliché pour ne pas s'aliéner le public) n'a pas lieu d'être. C'est un film à la fois plus rude (ami des bêtes, soyez prévenus, les loups se font dézinguer par dizaines et c'est assez violent) et plus spirituel que tous ses aînés. La steppe, théâtre de la violence des hommes et des animaux, est constamment filmée en harmonie avec le ciel, royaume des esprits où les nuages semblent vivants. Il n'y a jamais d'opposition entre le ciel et la terre dans LE DERNIER LOUP. L'équilibre et l'importance de celui-ci est au coeur même des tragédies que vivent les personnages, humains ou non. C'est sur ce point précis que le film de Jean-Jacques Annaud est une belle réussite. La caméra parvient à faire "vivre" son décor comme rarement et imprime des images prodigieuses. Le style évoque l'élégance classique de David Lean (une inspiration fréquente chez Annaud, qui lui rendait déjà hommage dans son inégal OR NOIR) mais les techniques utlisées (numérique et 3D) sont à la pointe du progrès. Plastiquement, LE DERNIER LOUP est d'une évidence et d'une cohérence totale. On en prend plein les mirettes et on en redemande. 
Véritables stars du métrage, les loups ont aussi fait l'objet d'une attention toute particulière. L'implication et surtout la patience ont permis d'obtenir des miracles. Annaud souhaitait que tous les loups du film soient considérés comme des acteurs à part entière, chacun ayant un personnage bien précis à "interpréter". Le résultat est, là aussi, phénoménal. La caractérisation des différents membres de la meute est à la fois subtile et puissante. Ils inspirent au cinéaste des morceaux de bravoure à même de traumatiser durablement les plus blasés des cinéphiles. Nous en retiendrons au moins trois. Le premier, vu dans de nombreuses bandes annonces et vanté non sans fierté par Annaud lui-même lors de la promotion, voit la meute de loups lancé un raid vengeur contre les centaines de chevaux que l'Etat a confié aux Mongols. L'attaque se déroule de nuit en pleine tempête de neige et tient du jamais vu, alternant avec fluidité plans larges chorégraphiés avec soin et cadrages serrés chaotiques. Une autre scène voit les loups affamés déployer des trésors de stratègie pour pénétrer dans un enclos aux murs élevés, rempli de moutons. Enfin, le climax, longue battue menée pour exterminer la meute, évoque carrément LE DERNIER DES MOHICANS en mettant en évidence la noblesse désespérée du loup. Opératique et poignant. Le tout, magnifié par le score superbe de James Horner sous perfusion du John Barry de DANCES WITH WOLVES et OUT OF AFRICA.
Là où le film se casse en revanche un peu la gueule, c'est sur sa partie "humaine". Il est en effet dommage qu'Annaud ne sache pas trop quoi faire de ses autres personnages. S'il parvient à leur conférer une épaisseur certaine, le talent des interprètes y étant pour beaucoup, le traitement est trop déséquilibré et certains personnages sont maladroitement abandonnés en cours de récit. Le compagnon du héros et le personnage féminin principal en font notamment les frais. Le premier est de moins en moins présent au fil de l'histoire tandis que la seconde ne se révèle que trop tardivement. Plus grave encore, Chen Zen, pourtant le vecteur d'identification principal, peine à intéresser. Trop passif, il n'agit que pour se planter et il devient très difficile de s'attacher à lui ou de lui trouver des circonstances atténuantes. Autre bourde, le patriarche des Mongols, personnage pourtant primordial, vire bêtement au cliché ennuyeux dans le dernier acte. Pas vraiment glorieux. L'équilibre voulu partout ailleurs ne s'applique pas aux hommes, moins bien servi que leurs partenaires à quatre pattes. On pourra dire que c'est voulu, les hommes étant la cause principale des tragédies qui leur tombe sur le coin de la gueule. Il n'empêchent que l'on se dit, à de nombreuses reprises, que sans eux le film serait sûrement plus réussi. Par un manque de rigueur narrative assez surprenant, ils deviennent les seconds rôles d'une histoire qui est pourtant aussi la leur.
Jean-Jacques Annaud rate le chef d'oeuvre de peu, mais offre son meilleur film depuis STALINGRAD et affirme, à 71 ans passés, un talent et une vitalité faisant cruellement défaut à tant de jeunes cinéastes français. 

Alan Wilson  

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