Blog cinéma d'utilité publique

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samedi 21 mars 2015

1492: CHRISTOPHE COLOMB / 1492: CONQUEST OF PARADISE (1992) DE RIDLEY SCOTT - LA CRITIQUE



"Je crois au Paradis et à l'Enfer. Et que tous deux peuvent être terrestres." C'est ainsi que le religieux Antonio de Marchena (interprété par Fernando Rey, dans l'un de ses derniers rôles) répond au questionnement théologique de Christophe Colomb (Gérard Depardieu, très impliqué mais pas forcément à sa place ici), explorateur en devenir, utopiste passionné et terriblement ambitieux. Plus tard dans le film, ce même Christophe Colomb, démoralisé par de nombreux et sanglants revers, précise cette pensée : "Le Paradis et l'Enfer peuvent tous deux être terrestres. Ils sont en nous, où que nous allions." Ridley Scott, cinéaste et auteur, a toujours aimé confronter l'humain et le spirituel, le réalisme et l'utopisme, le Bien et le Mal, à la recherche perpétuelle d'une hypothétique frontière les séparant. Dans ALIEN, un groupe d'humains ordinaires et faillibles affrontaient une créature d'un autre monde, parfaite, indestructible. Dans BLADE RUNNER, humains et androïdes, différents sur le papier, finissaient pourtant par se ressembler de plus en plus, l'artificiel promettant même de supplanter le naturel. Dans LEGEND, les Ténèbres et la Lumière entraient carrément en guerre mais, contredisant un manichéisme apparent, les deux camps révélaient également tentations et affinités l'un envers l'autre. Enfin, dans BLACK RAIN, c'était le choc des civilisations entre l'Orient et l'Occident, les deux joignant finalement leur force pour vaincre un mal commun, mais sans renier leurs différences. Je vais m'arrêter là, je pense que je me suis fait comprendre. 1492: CHRISTOPHE COLOMB apporte (superbement) sa pierre à l'édifice, dans le feu, la sueur et le sang. 
Le projet d'un biopic sur Christophe Colomb, l"homme qui a "découvert le Nouveau Monde" (une affirmation plus que discutable historiquement, mais enfin, passons) est né en 1987 de la plume de Roselyne Bosch, une ancienne journaliste, et de la volonté d'Alain Goldman, désireux de se lancer dans la production cinéma en frappant un grand coup. Et, à seulement cinq ans du 500ème anniversaire de l'expédition de Colomb, le calendrier leur permettait de préparer soigneusement une sortie évenementielle. Retrospectivement, si l'on sait que Sir Ridley Scott ne fut pas le seul cinéaste contacté (les noms de Roland Joffé et Francis Ford Coppola ont été évoqués), il ne pouvait y avoir de meilleur choix pour diriger cette entreprise que le cinéaste britannique. Un personnage aussi ambivalent, complexe, controversé, que Christophe Colomb ne pouvait que séduire le réalisateur des DUELLISTES, lui qui fuit la facilité et le consensuel comme la peste. Et puis, après trois films contemporains (TRAQUEE, BLACK RAIN, THELMA & LOUISE), l'occasion de renouer avec la fresque costumée était trop belle pour que Scott ne saute pas dessus. Doué d'un regard unique et précis, le réalisateur aime (re)créer des mondes et 1492 était un projet unique, une sorte de rêve éveillé. Encore aujourd'hui, le métrage conserve son statut de grosse production indépendante. Beaucoup de pognon, sans la pression d'un gros studio prêt à fourrer son nez partout. Un peu comme si la couronne d'Espagne, justement, avait alors investi Colomb d'une liberté maximale avec un financement cossu. 
Le parallèle entre l'explorateur et le cinéaste coule de source. Colomb rêvait de découvrir un "Nouveau Monde" tandis que Ridley Scott s'est toujours attaché à nous faire découvrir des "Nouveaux Mondes" cinématographiques qui n'existaient que dans nos rêves (et les siens). Tous deux se sont souvent opposés à des esprits trop cartésiens et des financiers frileux, guettant la moindre brêche pour foncer et parvenir à leurs fins. Seule la méthode éloigne les deux hommes. Colomb n'a jamais vraiment su où l'emmènerait ses voyages. Scott, en revanche, sait parfaitement où il va. On peut donc retrouver ausi un peu du cinéaste dans le personnage de Gabriel Sanchez, joué avec un mélange de passion et de retenue par Armand Assante. Il est le pragmatique de l'entreprise, le réaliste qui sait comment tout cela peut et va finir. Il est celui qui prend des risques ... calculés. Encore une fois, le jeu des contrastes, des oppositions, se révèle être au coeur des thématiques du film. 
Au gré des images, superbes et terrifiantes (c'est souvent très violent), qui parcourt le film, les contrastes se succèdent, s'inversent et, finalement, se mélangent. Sitôt découvert, le Nouveau Monde n'est plus si nouveau que cela. Entre la civilisation en Europe et l'Eden d'Hispanolia, les différences s'effacent progressivement. L'enfer de l'inquisition, dépeint en quelques plans cauchemardesques de bûchers expiatoires et de foule avide de sang, rejoint au final le carnage bestial qui oppose les conquistadors de Colomb à une tribu de cannibales écumant de rage. Quant à la rebellion de Don Adrian de Moxica (hallucinant Michael Wincott, pièce maîtresse d'un casting impeccable), elle ne sert qu'à souligner l'échec total de Colomb à vouloir instaurer de nouvelles règles plus égalitaires, le noble décadent et sanguinaire insistant, quelques secondes avant de se suicider, sur la pérénnité inaltérable du système des privilèges. Sa mort, aussi brutale soit-elle, est tout sauf une victoire. Au contraire, elle met fin aux rêves de Colomb et les dernières miettes de son idéalisme passionné seront balayées par une tempêtes aux proportions bibliques. L'explorateur rentre en disgrâce, vieilli et affaibli, n'obtenant l'opportunité de repartir que pour mieux finir cloué sur une chaise, le regard perdu dans l'horizon, prisonnier de la nostalgie. Douze ans plus tard, une autre fresque de Ridley Scott, le tout aussi magnifique et fragile KINGDOM OF HEAVEN (sans doute l'oeuvre la plus proche de 1492: CHRISTOPHE COLOMB) se conclura de manière similaire avec son héros revenant au pays dans un état de statu quo identique, embrassant la vie de famille et remisant ses rêves dans un coin de l'esprit.

Alan Wilson 
     

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