Blog cinéma d'utilité publique

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Obligatoire de 7 à 77 ans

samedi 21 mars 2015

1492: CHRISTOPHE COLOMB / 1492: CONQUEST OF PARADISE (1992) DE RIDLEY SCOTT - LA CRITIQUE



"Je crois au Paradis et à l'Enfer. Et que tous deux peuvent être terrestres." C'est ainsi que le religieux Antonio de Marchena (interprété par Fernando Rey, dans l'un de ses derniers rôles) répond au questionnement théologique de Christophe Colomb (Gérard Depardieu, très impliqué mais pas forcément à sa place ici), explorateur en devenir, utopiste passionné et terriblement ambitieux. Plus tard dans le film, ce même Christophe Colomb, démoralisé par de nombreux et sanglants revers, précise cette pensée : "Le Paradis et l'Enfer peuvent tous deux être terrestres. Ils sont en nous, où que nous allions." Ridley Scott, cinéaste et auteur, a toujours aimé confronter l'humain et le spirituel, le réalisme et l'utopisme, le Bien et le Mal, à la recherche perpétuelle d'une hypothétique frontière les séparant. Dans ALIEN, un groupe d'humains ordinaires et faillibles affrontaient une créature d'un autre monde, parfaite, indestructible. Dans BLADE RUNNER, humains et androïdes, différents sur le papier, finissaient pourtant par se ressembler de plus en plus, l'artificiel promettant même de supplanter le naturel. Dans LEGEND, les Ténèbres et la Lumière entraient carrément en guerre mais, contredisant un manichéisme apparent, les deux camps révélaient également tentations et affinités l'un envers l'autre. Enfin, dans BLACK RAIN, c'était le choc des civilisations entre l'Orient et l'Occident, les deux joignant finalement leur force pour vaincre un mal commun, mais sans renier leurs différences. Je vais m'arrêter là, je pense que je me suis fait comprendre. 1492: CHRISTOPHE COLOMB apporte (superbement) sa pierre à l'édifice, dans le feu, la sueur et le sang. 
Le projet d'un biopic sur Christophe Colomb, l"homme qui a "découvert le Nouveau Monde" (une affirmation plus que discutable historiquement, mais enfin, passons) est né en 1987 de la plume de Roselyne Bosch, une ancienne journaliste, et de la volonté d'Alain Goldman, désireux de se lancer dans la production cinéma en frappant un grand coup. Et, à seulement cinq ans du 500ème anniversaire de l'expédition de Colomb, le calendrier leur permettait de préparer soigneusement une sortie évenementielle. Retrospectivement, si l'on sait que Sir Ridley Scott ne fut pas le seul cinéaste contacté (les noms de Roland Joffé et Francis Ford Coppola ont été évoqués), il ne pouvait y avoir de meilleur choix pour diriger cette entreprise que le cinéaste britannique. Un personnage aussi ambivalent, complexe, controversé, que Christophe Colomb ne pouvait que séduire le réalisateur des DUELLISTES, lui qui fuit la facilité et le consensuel comme la peste. Et puis, après trois films contemporains (TRAQUEE, BLACK RAIN, THELMA & LOUISE), l'occasion de renouer avec la fresque costumée était trop belle pour que Scott ne saute pas dessus. Doué d'un regard unique et précis, le réalisateur aime (re)créer des mondes et 1492 était un projet unique, une sorte de rêve éveillé. Encore aujourd'hui, le métrage conserve son statut de grosse production indépendante. Beaucoup de pognon, sans la pression d'un gros studio prêt à fourrer son nez partout. Un peu comme si la couronne d'Espagne, justement, avait alors investi Colomb d'une liberté maximale avec un financement cossu. 
Le parallèle entre l'explorateur et le cinéaste coule de source. Colomb rêvait de découvrir un "Nouveau Monde" tandis que Ridley Scott s'est toujours attaché à nous faire découvrir des "Nouveaux Mondes" cinématographiques qui n'existaient que dans nos rêves (et les siens). Tous deux se sont souvent opposés à des esprits trop cartésiens et des financiers frileux, guettant la moindre brêche pour foncer et parvenir à leurs fins. Seule la méthode éloigne les deux hommes. Colomb n'a jamais vraiment su où l'emmènerait ses voyages. Scott, en revanche, sait parfaitement où il va. On peut donc retrouver ausi un peu du cinéaste dans le personnage de Gabriel Sanchez, joué avec un mélange de passion et de retenue par Armand Assante. Il est le pragmatique de l'entreprise, le réaliste qui sait comment tout cela peut et va finir. Il est celui qui prend des risques ... calculés. Encore une fois, le jeu des contrastes, des oppositions, se révèle être au coeur des thématiques du film. 
Au gré des images, superbes et terrifiantes (c'est souvent très violent), qui parcourt le film, les contrastes se succèdent, s'inversent et, finalement, se mélangent. Sitôt découvert, le Nouveau Monde n'est plus si nouveau que cela. Entre la civilisation en Europe et l'Eden d'Hispanolia, les différences s'effacent progressivement. L'enfer de l'inquisition, dépeint en quelques plans cauchemardesques de bûchers expiatoires et de foule avide de sang, rejoint au final le carnage bestial qui oppose les conquistadors de Colomb à une tribu de cannibales écumant de rage. Quant à la rebellion de Don Adrian de Moxica (hallucinant Michael Wincott, pièce maîtresse d'un casting impeccable), elle ne sert qu'à souligner l'échec total de Colomb à vouloir instaurer de nouvelles règles plus égalitaires, le noble décadent et sanguinaire insistant, quelques secondes avant de se suicider, sur la pérénnité inaltérable du système des privilèges. Sa mort, aussi brutale soit-elle, est tout sauf une victoire. Au contraire, elle met fin aux rêves de Colomb et les dernières miettes de son idéalisme passionné seront balayées par une tempêtes aux proportions bibliques. L'explorateur rentre en disgrâce, vieilli et affaibli, n'obtenant l'opportunité de repartir que pour mieux finir cloué sur une chaise, le regard perdu dans l'horizon, prisonnier de la nostalgie. Douze ans plus tard, une autre fresque de Ridley Scott, le tout aussi magnifique et fragile KINGDOM OF HEAVEN (sans doute l'oeuvre la plus proche de 1492: CHRISTOPHE COLOMB) se conclura de manière similaire avec son héros revenant au pays dans un état de statu quo identique, embrassant la vie de famille et remisant ses rêves dans un coin de l'esprit.

Alan Wilson 
     

lundi 16 mars 2015

ERRATUM SUR LA CRITIQUE DE THE HOMESMAN

Et voilà !! On est jamais appris de se tromper et de se ramasser !!! Donc, mettons les choses au point : THE HOMESMAN n'est pas le deuxième long-métrage de Tommy Lee Jones mais en fait son troisième. En effet, son premier effort se nomme GOOD OLD BOYS, un western produit pour le cable américain en 1995 avec Tommy Lee Jones donc, mais aussi Sam Shepard et Sissy Spacek. Voilà, faute avouée, ... vous connaissez la suite. J'y vais, je vais me flageller derrière un buisson avec un gros fouet.

REAL STEEL (2011) DE SHAWN LEVY - LA CRITIQUE (EXPRESS)

Dur dur de faire revivre l'esprit cinéma des glorieuses 80's, l'esprit Amblin. Nombreux sont les blockbusters qui, depuis quelques années, s'y sont cassés les dents. Bizarrement, REAL STEEL, pas vraiment prometteur sur le papier (de la science-fiction familial par le réalisateur de LA NUIT AU MUSEE, y a plus bandant quand même), parvient à créer la surprise et s'impose comme une réussite, modeste certes, mais bien réelle.
Produit par Steven Spielberg (qui d'autre ?), REAL STEEL se distingue immédiatement par une véritable humilité. S'il est bien question de robots géants qui se mettent sur la gueule, hors de question pour le réalisateur Shawn Levy d'imiter les TRANSFORMERS de Michael Bay en exhibant une technologie rutilante. C'est même tout le contraire. Servis par des images de synthèse aussi réalistes que discrètes, les robots bastonneurs de REAL STEEL affichent un look résolument old school à la fois crédible, fonctionnel et élégant. Une option profil bas qui a le mérite de leur conférer un surplus d'impact chaque fois qu'ils entrent en scène.  
C'est toutefois sur le plan humain que le film de Shawn Levy se distingue vraiment. Le scénario, rempli de références sincères (mais jamais ostentatoires) à EVERY WHICH WAY BUT LOOSE, KARATE KID ou encore SHORT CIRCUIT, déroule une trame à la ROCKY parfaitement prévisible mais qui fonctionne totalement puisqu'elle s'appuie sur des personnages solides et très bien interprétés. Réellement craquant, le duo père-fils (que tout oppose, off course) de Hugh Jackman et Dakota Goyo (de la vraie graine de star) fonctionne du feu de Dieu. Ajoutez à celà la prestation séduisante de la jolie-mais-pas-potiche Evangeline LIlly et vous obtenez un casting irréprochable et charismatique comme il se doit.
Baigné dans une ambiance chaleureuse, mis en image sans esbrouffe, REAL STEEL ne prétend pas réinventer la roue mais porte bien haut les valeurs de l'American Way of LIfe avec une naïveté retrouvée. Par les temps qui courent, un divertissement grand public garanti sans la moindre once de cynisme, ça ne se refuse pas. Et si, en plus, je vous dis que le score de l'excellent Danny Elfman se permet de rendre un vibrant hommage aux fanfares et aux mélodies du Bill Conti de KARATE KID, là vous n'avez plus aucune excuse.

Alan Wilson  

THE HOMESMAN (2014) DE TOMMY LEE JONES - LA CRITIQUE (EXPRESS)


Réaliser un second long-métrage est une épreuve à ne pas prendre à la légère. Surtout lorsque le premier à été couverts de louanges. Ainsi, neuf années séparent THE THREE BURIALS OF MELQUIADES ESTRADA de THE HOMESMAN, l'acteur et cinéaste Tommy Lee Jones ayant pris grand soin de ne pas précipiter sa nouvelle oeuvre, mais plutôt de la peaufiner.
S'il délaisse la période contemporaine pour le drame en costumes, Tommy Lee Jones persévère toutefois dans le western avec une austérité encore accrue. S'ouvrant en 1855 sur les plaines arides et balayées par des vents incessants du Nebraska, THE HOMESMAN nous parlent de solitude, de folie, de foi religieuse et de la violence et de la lâcheté des hommes. Sur un rythme lent, rempli de silences pesants, THE HOMESMAN est un film qui ne cherche pas à se faire aimer mais qui, pourtant, peu à peu, fascine et grave son spleen lancinant dans les mémoires et dans les coeurs. Rarement un western aura pris la peine de se pencher aussi sérieusement (et sans jouer la carte du militantisme) sur la triste condition des femmes lors de cette rude époque où la famine, la maladie et la dureté du climat pouvait briser les esprits, même les plus robustes.
Avec talent, Hilary Swank incarne une pionnière, religieuse fervente, dont la détermination et la force de caractère ne sont qu'une façade pour dissimuler une profonde solitude, l'envie jamais satisfaite de fonder une famille. Les trois autres femmes (jouées par Grace Gummer, Miranda Otto et Sonja Richter) dont elle a la charge de les ramener vers l'Est, dans l'Iowa, ont, quant à elles, sombré corps et âme dans la démence. Se tenir droite face au vent, tant bien que mal, ou casser, tel semble être le seul choix de vie pour ces malheureuses.
Et les hommes dans tout ça ? Tommy Lee Jones n'en offre pas vraiment un portrait flatteur. Libidineux, violents, lâches, faibles. S'ils savent survivre et se montrer occasionnellement braves ou compréhensifs, ils ne sont jamais des héros. Et surtout pas le personnage incarné par Tommy Lee Jones en personne. S'il accepte d'aider l'héroïne dans son périple, se montrant à la hauteur de la tâche dès qu'il s'agit de protéger sa "cargaison" des dangers dont ils croisent la route, ses actes ne sont motivés que par son instinct de survie, la cupidité ou, dans le meilleur des cas, la culpabilité. 
Superbement mis en image, THE HOMESMAN est un film profondément émouvant sans jamais être larmoyant et dont les derniers instants vont peut-être vous hanter longtemps après le générique de fin. 

Alan Wilson     

BILL DOOLIN LE HORS-LA-LOI (WINCHESTER ET LONG-JUPONS) / CATTLE ANNIE AND LITTLE BRITCHES (1981) DE LAMONT JOHNSON - LA CRITIQUE (EXPRESS)

Voilà un western méconnu (si ce n'est oublié) qui mérite amplement d'être redécouvert. Se basant sur les derniers jours du gang Doolin-Dalton, le film de Lamont Johnson offre un regard plein de tendresse et de nostalgie sur les hors-la-lois vieillissant d'un Ouest mythique sur le point de s'éteindre.
Le point de vue choisi ici par le réalisateur est celui de deux jeunes filles (magnifiquement incarnées par les toutes jeunes Amanda Plummer et Diane Lane) rêvant d'aventures en compagnie des hors-la-lois dont les magazines de l'époque dressent des portraits très romancés. Aux yeux des adolescentes, BIll Doolin et son gang ne sont rien moins que des rock-stars dont les exploits légendaires leurs servent à échapper à un quotidien difficile, fait de corvées et de pauvreté. Mais la vie de groupie à laquelles elles aspirent n'est pas plus rose pour autant. Pourchassés, démotivés, les Doolin-Dalton ne sont ni plus ni moins que des vagabonds couverts de poussière et qui n'ont pour seule richesse que le respect et la crainte qu'ils inspirent encore. Sur ces bases, le film pourrait être extrêmement sombre mais il n'en est pourtant rien. L'optimisme forcené des deux héroïnes, s'il ne fait disparaître ni la crasse ni la boue ni la misère, chasse au moins la morosité qui nous pendait au nez. Les promesses d'une jeunesse qui n'a pas renoncé à ses rêves, c'est là un thème que CATTLE ANNIE AND LITTLE BRITCHES exploite à merveille. Il faut voir ces montagnes de virilité ol school que sont Burt Lancaster et Rod Steiger laisser se fendre l'armure du machisme au contact de deux gamines qui ne cèdent jamais ! Il faut encore les voir inspirer l'envie d'une dernière chevauchée glorieuse à un gang tiraillé par les tensions internes et la lassitude !
Discrète mais efficace, la mise en scène de Lamont Johnson retient surtout l'attention en matière de direction d'acteurs (et actrices). Pas de prestations bigger than life, mais des comédiens solides dirigés avec beaucoup de justesse. Même Rod Steiger se la joue humble, très en retrait. Outre les interprètes déjà cités, Scott Glenn (dans le rôle de Dalton) et John Savage complètent un casting magnifique.

Alan Wilson

  


CAT BALLOU (1965) DE ELLIOT SILVERSTEIN - LA CRITIQUE (EXPRESS)


Il existe autour de CAT BALLOU, ce western semi-parodique qui fut le premier long-métrage de Elliot SIlverstein (jusqu'alors téléaste solide, pour TWILIGHT ZONE et NAKED CITY notamment), un culte un peu insensé. Le très sérieux American FIlm Institute l'a ainsi placé en dixième position sur la liste des dix meilleurs westerns de tous les temps et en cinquantième position sur sa liste des cent meilleurs comédies, sans compter des nominations pour toutes ses autres prestigieuses listes. Les Oscars lui ont fait l'honneur de quatre nominations et Lee Marvin fut récompensé pour son (double) rôle avec une statuette dorée. Enfin, les frères Farelly et l'acteur Bryan Cranston ne manquent jamais une occasion de citer leur amour pour ce film qu'ils citent comme une référence majeure. Rien que ça !
Autant écorner le mythe tout de suite, CAT BALLOU, bien que très sympathique, ne mérite pas vraiment tous ces honneurs et cette réputation flatteuse. Réalisé avec une envie sincère de bousculer les codes du western, un genre alors jugé comme ronronnant et en perte de vitesse, CAT BALLOU n'arrive jamais vraiment à se positionner dans son humour. Burlesque, parodie, screwball, comédie romantique ? Le film essaie un peu tout sans choisir une bonne fois pour toute, alternant la franche drôlerie (le bal du début qui vire à la baston générale) et le nettement plus embarrassant (Lee Marvin, rond comme une queue de pelle sur son cheval, poursuivie par des hommes de loi dans une cavalcade en accéléré, à la façon du cinéma muet). Quant à la mise en scène, elle reste très pantouflarde, n'offrant rien de bien excitant à se mettre sous la dent. C'est très soigné, mais sans éclat et loin d'être mémorable. Un comble pour un film qui voudrait bousculer les conventions. Tout ça pour ça !
Le véritable charme du film et le plaisir que l'on y prend se trouvent ailleurs. Non pas dans le numéro de cabotinage moyennement appréciable de Lee Marvin, mais plutôt dans la prestation énergique, sensuelle et forte de Jane Fonda. L'actrice fait des merveilles en incarnant cette héroïne féministe et séduisante en diable. Elle est l'âme du film, son meilleur atout et la raison évidente de sa pérennité dans le coeur de beaucoup de cinéphiles. N'oublions pas non plus le duo Michael Callan/Dwayne Hickman, leur timing comique impeccable étant à l'origine de la majorité des rires que ce drôle de western parvient à nous arracher.   

Alan Wilson

lundi 9 mars 2015

TUSK (2014) DE KEVIN SMITH - LA CRITIQUE (EXPRESS)


Sacré Kevin Smith ! Il faut accorder au bavard du New Jersey une sacrée dose de courage pour avoir conçu et mené à bien cette péloche atypique, malsaine et décalée.
TUSK raconte l'histoire de Wallace Bryton (Justin Long, qui n'a pas été aussi bon depuis JEEPERS CREEPERS), un podcasteur arrogant et cynique qui se rend au Canada pour rencontrer le dernier sujet de ses moqueries en ligne, un adolescent qui s'est coupé la jambe en jouant avec un katana (!). Mais, une fois sur place, l'interview tombe à l'eau. Coup de bol, une annonce découverte dans les toilettes d'un bar local le met sur la piste d'un certain Howard Howe (Michael Parks, égal à lui-même c'est-à-dire génial), un vieux solitaire qui se dit aventurier et prêt à raconter son incroyable histoire à quiconque voudra bien le rencontrer. Ce que Wallace ignore, c'est que le bonhomme en question a le projet secret de kidnapper, de mutiler puis de transformer son interlocuteur en ... morse. 
Oui, vous avez bien lu.
Après RED STATE et sa congrégation de fanatiques religieux meurtriers, Kevin Smith récidive dans l'horreur et poursuit sa plongée dans la folie humaine. Si, sur la forme, le réalisateur de CLERKS et MEPRISE MULTIPLE se montre toujours aussi conscient de ses limites et privilégie la simplicité, son sens du dialogue (acéré) et de la narration (remarquable) forcent le respect. Les trentes premières minutes constituent un véritable modèle d'exposition et de tension larvée. Sitôt le héros plongé dans un calvaire sans fin, TUSK évite intelligemment l'écueil du torture-porn qui lui pendait au nez pour épouser la claustrophobie old-school d'un huit-clos psychologique ... avant de changer à nouveau de direction. Et ainsi de suite. TUSK est un film gigogne, qui, sans jamais se dérober vis-à-vis de son pitch casse-gueule (vous vouliez voir un homme transformé en morse, vous serez servis !), n'hésite pas à brasser les genres (comédie, thriller, horreur, romance tragique) pour mieux surprendre son public. Mais le procédé, cohérent sur la durée, rencontre malheureusement un obstacle de taille en la personne de Johnny Depp, moyennement drôle et jamais crédible dans son rôle d'inspecteur québécois timbré. L'absurdité trop appuyée de son personnage, si elle s'intègre à la folie de l'ensemble, nuit pourtant énormément à l'intensité du drame qui se joue. Ainsi, la conclusion du film, pourtant très proche de celle de LA MOUCHE version Cronenberg, ainsi que de sa suite signée Chris Wallas (une très belle double-référence), peine à atteindre le sommet d'émotion voulu et nécessaire. Un défaut réel mais qui n'entame en rien la radicalité du propos et la sincérité de la démarche. Kevin Smith n'est peut-être pas un grand cinéaste mais il a une voix bien à lui. Et des couilles aussi. Une grosse paire de couilles. Ce qui est de plus en plus rare, non ?

Alan Wilson

      

dimanche 8 mars 2015

PREMIERS PAS : GEORGE LUCAS, GUILLERMO DEL TORO, JAMES CAMERON, STANLEY KUBRICK

Quoi de plus amusant que de profiter d'un après-midi de farniente pour jouer les archéologues et découvrir les premiers efforts de cinéastes renommés ? Youtube aidant, je suis donc parti en quête d'une poignée de courts-métrages et d'un long plutôt rare, le FEAR & DESIRE de Stanley Kubrick. Passage en revue ...


On commence avec FREIHEIT de George Lucas, réalisé en 1966. Le titre signifie liberté (pour les non-germanophones) et suit, sur trois courtes minutes et en noir et blanc, la tentative d'un jeune étudiant désespéré (joué par le futur cinéaste Randal Kleiser) pour traverser une frontière. Finalement abattu par un soldat, il agonise en ressassant son idéal de liberté. Presque totalement muet et assez anodin, le court fait tout de même preuve d'un joli sens du découpage et du suspense. Le thème exploré, le besoin de liberté, deviendra une constante dans l’œuvre à venir du barbu de Modesto.   


GEOMETRIA, librement adapté de la nouvelle NATURALLY de Fredric Brown par le mexicain Guillermo Del Toro, joue déjà dans une catégorie supérieure. Un jeune homme grondé par sa marâtre de mère pour avoir échoué à son examen de géométrie tente d'invoquer un démon qui lui donnerait la possibilité de ne plus jamais échouer dans ses études. Rien, évidemment, ne va se passer comme prévu. Les références abondent (EVIL DEAD, Mario Bava, L'EXORCISTE, ZOMBIE) dans ce court-métrage sorti tout droit d'un EC Comics. Éclairages baroques, violence cartoonesque et humour noir font bon ménage. Seuls les acteurs font un peu de peine à voir, leur amateurisme crevant les yeux. Il n'empêche que ce court-métrage aurait sûrement pu avoir sa place au sein d'une anthologie à la façon du CREEPSHOW de George A. Romero et Stephen King. A noter que deux montages de GEOMETRIA existent, le plus court faisant partie des bonus de l'édition blu-ray Criterion de CRONOS.


Visible dans des conditions médiocres digne d'une vhs en fin de vie, l'ambitieux XENOGENESIS de James Cameron est un drôle d'objet, clairement inachevé mais pourtant annonciateur des long-métrages à venir. Dans les entrailles d'un gigantesque vaisseau, un homme et une femme font face à une sentinelle robotique particulièrement coriace, dans un déluge d'images que l'on retrouvera dans TERMINATOR, ALIENS, ABYSS et même AVATAR. Et, comme dans ces films, une histoire d'amour est au cœur du drame qui se joue. Passé un prologue dessiné prometteur, Cameron transforme son rachitique budget en tour de force technique, preuve de son savoir-faire et de sa maîtrise. Il est simplement dommage que l'histoire se termine en queue de poisson, abruptement. Manque de budget, manque de temps, envie de se tourner vers d'autres projets ? Je l'ignore, mais gageons qu'il s'agit sans doute un peu des trois. Au générique, on retrouve William Wisher Jr, co-scénariste de TERMINATOR 2, et Bernard Hermann signe le score, rien que ça ! Frustrant (on aimerait vraiment savoir comment ça se termine) mais indispensable.  



On termine avec la pièce de résistance, FEAR & DESIRE (1953), le premier long-métrage de Stanley Kubrick, resté longtemps inédit et même un temps considéré comme perdu avant qu'une restauration et une sortie en vidéo en 2012 ne le rende enfin visible un peu partout dans le monde. Kubrick, on le sait, était mécontent du résultat. Avait-il tort ? Non, pas tout à fait, il faut bien l'avouer. Sans être honteuses, les 62 minutes de cette allégorie guerrière ne tiennent pas la comparaison avec les œuvres qui suivront. Si la photographie, le découpage, le rythme et l'ambiance portent de toute évidence la marque du réalisateur de LOLITA et des SENTIERS DE LA GLOIRE, le scénario et la direction d'acteurs ne sont pas loin d'être catastrophiques. Ce qui aurait pu devenir un bon épisode de TWILIGHT ZONE (on nage souvent en plein fantastique, ce qui n'est pas pour me déplaire) souffre d'une écriture nébuleuse et prétentieuse (ah ! ce jeune trouffion qui devient fou et récite du Shakespeare, pitié !), maladroite dans son acharnement à surligner ce qui se passe à l'écran. Quant aux acteurs, leurs prestations oscillent entre la transparence et le cabotinage embarrassant. L'intérêt de FEAR & DESIRE est donc purement technique.

Alan Wilson   

samedi 7 mars 2015

A ARMES EGALES / G.I. JANE (1997) DE RIDLEY SCOTT - LA CRITIQUE (EXPRESS)


G.I. JANE est vraiment un film ... bizarre. Loin d'être mauvais, mais pas tout à fait bon non plus. Un film de mecs voulue par une femme. Mais rembobinons un peu. Nous sommes en 1997 et Demi Moore est une star qui cherche à se distinguer férocement de ses consoeurs d'Hollywood. En résulte G.I. JANE, un boot-camp movie (sous-genre du film de guerre se concentrant sur l'entraînement des futurs bidasses et popularisé par des classiques comme FULL METAL JACKET ou HEARTBREAK RIDGE) dans lequel l'actrice et productrice donne beaucoup d'elle-même, prouvant ainsi qu'elle peut endosser des rôles aussi physiques que ceux que l'on propose généralement à des hommes. Ce qui est le propos même du film, puisque la belle Demi y joue une femme s'engageant dans un programme d'entraînement pour les Navy Seals, histoire de prouver qu'elle peut réussir une épreuve à priori réservée aux hommes. On ne peut pas faire plus évident. Et le scénario ne fait pas dans la subtilité en reprenant tous les poncifs du genre. L'officier vachard (un Viggo Mortensen charismatique à souhait), l'hostilité des compagnons d'armes qui va virer au respect et à la fraternisation, l'épreuve du feu en guise d'examen final, tout y est.
C'est en matière de mise en scène que G.I. JANE trouve son identité. A la barre, le général Sir Ridley Scott transforme le véhicule pour star en véritable hommage au cinéma de ... Tony Scott, son propre frère. Il en imite l'énergie, le rythme, l'agressivité. Autel à la gloire cinégénique de Demi Moore, G.I. JANE reprend à son compte les codes stylistiques de TOP GUN et JOURS DE TONNERRE, autels à la gloire cinégénique de Tom Cruise. A un point tel que les trois films pourraient former une trilogie officieuse. Aucune surprise à l'horizon donc, et le plaisir que l'on en retire est purement ... viril. Un vrai concours de mâchoires carrées, de répliques bad-ass ("Suck my dick !") et de grosses pétoires fièrement exhibées. Comme dirait l'autre, c'est du brutal. Et on ne peut qu'applaudir le courage de Demi Moore, splendide amazone au crane râsée. Filmée avec un fétichisme jouissif et un goût certain, l'actrice livre une prestation atomique. Il est en revanche regrettable que le climax soit aussi raté, la faute à un parti-pris incompréhensible. Pour nous faire ressentir "physiquement" le chaos d'une fusillade, Ridley Scott choisit d'accompagner chaque rafale de tir de zooms avant/arrière frénétiques qui foutent la gerbe. L'effet est disgracieux au possible. On remerciera le cinéaste de ne plus jamais y avoir eu recours par la suite. Mais le mal est fait et G.I. JANE ne se conclut pas sur la plus positive des impressions. Heureusement que les 80 minutes précédentes ont méchamment de la gueule.  

Alan Wilson     
   

vendredi 6 mars 2015

LAST DAYS OF SUMMER / LABOR DAY (2013) DE JASON REITMAN - LA CRITIQUE (EXPRESS)



Je passe aux aveux, LABOR DAY est le premier film de Jason Reitman que je voie. THANK YOU FOR SMOKING, JUNO, UP IN THE AIR, YOUNG ADULT, pas vu. Un peu par fainéantise, beaucoup par manque d'intérêt. Je finirai par les voir, mais, en attendant, je suis heureux d'avoir abordé la filmographie de ce fils de (Ivan Reitman, le réal de GHOSTBUSTERS, mais vous le saviez déjà) par ce que je crois être le bon bout.
Adaptation d'un roman de Joyce Maynard (également l'auteure de TO DIE FOR, réalisé par Gus Van Sant), LABOR DAY n'est peut-être pas un chef d'oeuvre mais, et c'est suffisamment rare pour le souligner, c'est un beau film. Une histoire d'amour simple et touchante, avec une touche de sensualité presque enivrante. Une plaie que le scénario ne soit pas à la hauteur (trop de voix-off pas franchement utile, de personnages secondaires anecdotiques et des situations pas toujours crédibles).
Ce sont les acteurs qui emportent le morceau et apportent au film tout son charme. Le couple formé par Kate Winslet et Josh Brolin irradie littéralement. Dès leur rencontre, la tension sexuelle monte de plusieurs crans, baignant dans la moiteur de l'été. Magnifique et charnelle, la photographie d'Eric Steelberg pourrait presque nous faire ressentir la moindre goutte de sueur perlant du front des acteurs. Un bel exploit, surtout que le film ne contient aucune scène de sexe à proprement parler, préférant tout miser sur la suggestion, les regards et les sentiments. La simplicité de l'amour sans en faire des caisses. Cerise sur le gâteau, en situant son intrigue à la fin des années 80, le film de Jason Reitman évoque sans forcer la nostalgie les années Amblin, notamment lors d'une très belle scène où le couple vedette lézardent tendrement dans le canapé en matant la fin de RENCONTRES DU TROISIEME TYPE. Une certaine idée du bonheur.

Alan Wilson 

 

LE DERNIER LOUP / WOLF TOTEM (2015) DE JEAN-JACQUES ANNAUD - LA CRITIQUE




C'est un fait, Jean-Jacques Annaud ne renoncera jamais à son goût pour les défis cinématographiques les plus complexes. C'est ce qui fait sa force. C'est ce qui le pousse à continuer. Adaptation d'un best-seller chinois controversé (LE TOTEM DU LOUP, de Jiang Rong, longtemps vendu sous le manteau), LE DERNIER LOUP est d'ailleurs le pari le plus fou que le cinéaste français ait jamais eu à relever.
L'histoire qui nous est ici contée est celle de Chen Zen, jeune étudiant chinois de Pékin envoyé avec un ami en Mongolie intérieure pour passer deux années en compagnie d'une tribu de nomades. Le régime de Mao en est à ses débuts, la Révolution Culturelle bat son plein et la tâche confiée aux deux jeunes hommes est d'asurer l'éducation moderne de populations vivants encore dans le passé. Fasciné par la spiritualité des Mongols et les loups, vénérés comme des esprits, Chen Zen gagne vite le respect du patriarche local. Pourtant, sa décision de capturer et d'élever un louveteau menace l'équilibre des relations entre les hommes et les loups. Un équilibre déjà fragilisé par les braconniers et la modernisation forcenée de l'agriculture voulue par le Régime. 
En 1997, SEPT ANS AU TIBET, un film narrant la relation entre l'alpiniste autrichien Heinrich Harrer et le Dalaï Lama entre 1944 et 1951, avait conduit la Chine à déclarer Jean-Jacques Annaud (mais aussi les acteurs Brad Pitt et David Thewlis) personna non grata sur le territoire chinois. Après le divorce, la réconciliation, puisque LE DERNIER LOUP est une production chinoise. Un gros budget confié à un cinéaste jadis banni et aujourd'hui courtisé. LE DERNIER LOUP serait-il une sorte de mea culpa de la part d'Annaud, une oeuvre consensuelle à la gloire du Parti Communiste Chinois ? Mettons immédiatement fin à une quelconque polémique, LE DERNIER LOUP n'est rien de tout ça. S'il n'épargne pas le régime de Mao et les conséquences ici désastreuses de sa politique de modernisation, ce n'est pas un film politique. C'est une fable humaniste et écologiste. Néanmoins, la question restant légitime, pourquoi diantre les chinois ont-ils fait appel aux services d'un artiste dont ils ne voulaient même plus entendre parler ? La réponse est simple : par pragmatisme. L'OURS et DEUX FRERES font de Annaud le choix idéal pour un tournage avec des animaux sauvages. Il a déjà réussi autrefois et il est le seul à pouvoir y parvenir encore. Pragmatisme, les amis. 
LE DERNIER LOUP n'est pas une fresque animalière comme les autres. Ce n'est pas un film béat et l'anthropomorphisme des loups (un cliché pour ne pas s'aliéner le public) n'a pas lieu d'être. C'est un film à la fois plus rude (ami des bêtes, soyez prévenus, les loups se font dézinguer par dizaines et c'est assez violent) et plus spirituel que tous ses aînés. La steppe, théâtre de la violence des hommes et des animaux, est constamment filmée en harmonie avec le ciel, royaume des esprits où les nuages semblent vivants. Il n'y a jamais d'opposition entre le ciel et la terre dans LE DERNIER LOUP. L'équilibre et l'importance de celui-ci est au coeur même des tragédies que vivent les personnages, humains ou non. C'est sur ce point précis que le film de Jean-Jacques Annaud est une belle réussite. La caméra parvient à faire "vivre" son décor comme rarement et imprime des images prodigieuses. Le style évoque l'élégance classique de David Lean (une inspiration fréquente chez Annaud, qui lui rendait déjà hommage dans son inégal OR NOIR) mais les techniques utlisées (numérique et 3D) sont à la pointe du progrès. Plastiquement, LE DERNIER LOUP est d'une évidence et d'une cohérence totale. On en prend plein les mirettes et on en redemande. 
Véritables stars du métrage, les loups ont aussi fait l'objet d'une attention toute particulière. L'implication et surtout la patience ont permis d'obtenir des miracles. Annaud souhaitait que tous les loups du film soient considérés comme des acteurs à part entière, chacun ayant un personnage bien précis à "interpréter". Le résultat est, là aussi, phénoménal. La caractérisation des différents membres de la meute est à la fois subtile et puissante. Ils inspirent au cinéaste des morceaux de bravoure à même de traumatiser durablement les plus blasés des cinéphiles. Nous en retiendrons au moins trois. Le premier, vu dans de nombreuses bandes annonces et vanté non sans fierté par Annaud lui-même lors de la promotion, voit la meute de loups lancé un raid vengeur contre les centaines de chevaux que l'Etat a confié aux Mongols. L'attaque se déroule de nuit en pleine tempête de neige et tient du jamais vu, alternant avec fluidité plans larges chorégraphiés avec soin et cadrages serrés chaotiques. Une autre scène voit les loups affamés déployer des trésors de stratègie pour pénétrer dans un enclos aux murs élevés, rempli de moutons. Enfin, le climax, longue battue menée pour exterminer la meute, évoque carrément LE DERNIER DES MOHICANS en mettant en évidence la noblesse désespérée du loup. Opératique et poignant. Le tout, magnifié par le score superbe de James Horner sous perfusion du John Barry de DANCES WITH WOLVES et OUT OF AFRICA.
Là où le film se casse en revanche un peu la gueule, c'est sur sa partie "humaine". Il est en effet dommage qu'Annaud ne sache pas trop quoi faire de ses autres personnages. S'il parvient à leur conférer une épaisseur certaine, le talent des interprètes y étant pour beaucoup, le traitement est trop déséquilibré et certains personnages sont maladroitement abandonnés en cours de récit. Le compagnon du héros et le personnage féminin principal en font notamment les frais. Le premier est de moins en moins présent au fil de l'histoire tandis que la seconde ne se révèle que trop tardivement. Plus grave encore, Chen Zen, pourtant le vecteur d'identification principal, peine à intéresser. Trop passif, il n'agit que pour se planter et il devient très difficile de s'attacher à lui ou de lui trouver des circonstances atténuantes. Autre bourde, le patriarche des Mongols, personnage pourtant primordial, vire bêtement au cliché ennuyeux dans le dernier acte. Pas vraiment glorieux. L'équilibre voulu partout ailleurs ne s'applique pas aux hommes, moins bien servi que leurs partenaires à quatre pattes. On pourra dire que c'est voulu, les hommes étant la cause principale des tragédies qui leur tombe sur le coin de la gueule. Il n'empêchent que l'on se dit, à de nombreuses reprises, que sans eux le film serait sûrement plus réussi. Par un manque de rigueur narrative assez surprenant, ils deviennent les seconds rôles d'une histoire qui est pourtant aussi la leur.
Jean-Jacques Annaud rate le chef d'oeuvre de peu, mais offre son meilleur film depuis STALINGRAD et affirme, à 71 ans passés, un talent et une vitalité faisant cruellement défaut à tant de jeunes cinéastes français. 

Alan Wilson