Blog cinéma d'utilité publique

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Obligatoire de 7 à 77 ans

dimanche 20 août 2017

SPETTERS (1980)

Réalisateur : Paul Verhoeven.
Scénario : Gerard Soeteman, Jan Wolkers.
Directeur de la photographie : Jost Vacano.
Musique : Ton Scherpenzeel, Kayak.
Avec Hans Van Tongeren, Renée Soutendjik, Toon Agterberg, Maarten Spanjer, Jeroen Krabbe, Rutger Hauer, ...
Pays-Bas - Couleurs - 120 minutes.




"Foutez-moi la paix sinon je force votre pote le loubard à boire toute ma végétaline !" (Fientje, femme à frire)



Il Était une Fois Aux Pays-Bas.


Il fut une époque où les Pays Bas étaient fiers de Paul Verhoeven. La série médiévale populaire Floris et les succès critiques internationaux de Turkish Delight (1973) et Soldier of Orange (1977) avaient fait de lui un cinéaste prometteur, presque respectable. Puis vint Spetters, l'outrage. Après la lune de miel, les insultes et la rupture. Considéré comme homophobe, misogyne et tout simplement dégradant, Spetters fédéra contre lui la critique et une partie du public. Une haine justifiée ? Oui et non. Si le film de Verhoeven ne souffre d'aucune des tares dont on l'accuse, il ne cherche pas non plus à s'attirer la sympathie du public.

Quand on ne regarde la vérité que de profil ou de trois quarts, on la voit toujours mal. Il y a peu de gens qui savent la contempler de face. (Gustave Flaubert)

Conte moral virant au pamphlet nihiliste, Spetters crache à la face du public la vérité nue et sale de sa propre médiocrité et de ses rêves déçus. Un geste aussi courageux que suicidaire de la part d'un cinéaste en  pleine possession de ses moyens, lucide et virtuose. Mais que raconte donc Spetters ?
Rien, Eef et Hans sont trois jeunes gens passionnés de motocross et qui vouent un culte au champion de la discipline, le bellâtre Gerrit Witkamp (Rutger Hauer, formidable de charisme et d'hypocrisie bas du front). Ils rêvent, ils conduisent vite, ils dansent, ils baisent. Ils vont bien vite déchanter. De passage dans leur ville, accompagnant son frère dans une roulotte, Fientje (la tornade blonde Renée Soutendjik), une vendeuse de frite qui rêve de gloire et d'un ailleurs qui ne sente pas le graillon va débarquer dans la vie des trois garçons et tout changer. Qu'elle le veuille ou pas. Pilote prometteur, Rien va se briser la colonne vertébrale dans un accident stupide. Eef va découvrir la vraie nature de l'homophobie qu'il affiche sans honte à la suite d'un viol collectif. Et Hans, naïf et sans talent, va enfin comprendre ce que cache les rires de ceux qui l'entourent.
Impeccablement structuré, le scénario de Gerard Soeteman (complice de Verhoven depuis Business Is Business et sur toute sa période hollandaise) cache ses implacables mécanismes de tragédie moderne derrière une trivialité de façade et tire à boulets rouges sur l'hypocrisie de la société contemporaine. Les rêves que l'on vend à la jeunesse ne sont que des mensonges et des instruments de soumission. On patauge dans la merde mais l'on voudrait nous faire croire que ça sent la rose et les lendemains qui chantent. La religion, les médias, la célébrité, les dogmes, la plèbe. La vérité rattrape tout le monde et broie toutes les illusions. Les trois héros de Spetters ont beau foncer vers un avenir qu'ils imaginent radieux sur leurs bécanes rutilantes, le destin finira par les forcer à mettre pied à terre et à couper le moteur. Un retour à la réalité annoncé d'ailleurs dès le départ par les pannes incessantes de la moto de Hans. Le genre de discours si acide et terrible que le public d'alors n'a pas pu le digérer. A cette bonne rasade de vitriol, Verhoeven en rajoute encore par des images fortes sous une lumière froide, cadrant sans cérémonie le sexe triste de ses personnages et un viol homosexuel particulièrement violent. Pour choquer ? Non. Pour cadrer avec son discours de vérité, tout simplement.
Pourtant, et là est le paradoxe, Paul Verhoven ne manque pas de tendresse pour ses personnages. Rien, Eef, Hans et Fientje sont des losers parfois immondes, souvent vulgaires, mais toujours attachants. Le réalisateur ne les prend jamais de haut, bien au contraire. L'énergie qu'il déploie (la caméra est presque toujours en mouvement et le montage est sidérant de dynamisme) témoigne de l'admiration qu'il porte à la jeunesse et aux pulsions de sexe, de vie et de mort qui en font tout le sel. "Vous les trouverez laids et pitoyables, et vous aurez sans doute raison, mais moi, malgré tout, je les aime" semble nous dire Verhoeven. Le Hollandais violent serait t-il un punk sentimental ? C'est bien possible. Le destin funeste qu'il réserve à l'un des personnages est si émouvant qu'on en viendrait presque à verser de chaudes larmes. Spetters n'est définitivement pas l'œuvre d'un artiste cynique et condescendant.
Outre le plaisir immédiat que Spetters offre à qui saura regarder en face, sans préjugés et sans crainte du reflet peu flatteur que renvoie ce miroir qui nous est tendu, le cinéphile saura s'amuser d'y découvrir une œuvre somme. D'une part, Spetters poursuit et amène jusqu'à son point de rupture le travail que mène Verhoeven sur l'horreur de notre civilisation de faux-culs depuis son tout premier long-métrage où les fantasmes cachés et grotesques des mâles hollandais se dévoilaient dans un bordel. D'autre part, les futures œuvres du cinéaste y sont déjà en germe. Fientje et Nomi Malone, l'héroïne de Showgirls ont beaucoup en commun dans leur opportunisme forcené (et les deux films partagent également une scène où la tension sexuelle se voit stoppée net par les menstruations de la demoiselle). Johnny Rico, Dizzy Flores et Carl Jenkins, le trio de jeunes amis qui lance Starship Troopers ne sont quant à eux que des versions Barbie et Ken des motards de Spetters. Mêmes rêves, mêmes destins brisés (ou presque). Les loubards violents de Robocop sont à peine plus évolués que les gangs en blousons de cuir qui ravagent le bar du père de Hans. Enfin, le viol que subit Eef le rapproche de Michèle, l'héroïne de Elle, tous les deux trouvant dans ce traumatisme sexuel la force de briser les chaînes qui les entravent depuis trop longtemps ou, du moins, d'ouvrir les hostilités.
Spetters, un affront aux bonnes mœurs ? Peut-être. Un chef d'œuvre ? Oui, et pas qu'un peu.

Alan Wilson     




 



























lundi 14 août 2017

LA TOUR SOMBRE (2017)

Titre original : The Dark Tower.
Réalisateur : Nikolaj Arcel.
Scénario : Akiva Goldsman, Jeff Pinkner, Anders Thomas Jensen, NIkolaj Arcel.
Directeur de la photographie : Rasmus Videbaek.
Musique : Tom Holkenborg, alias Junkie XL.
Avec Idris Elba, Matthew McConaughey, Tom Taylor, Claudia Kim, Katheryn Winnick, Fran Kranz, Abbey Lee, Jackie Earl Haley, ...
Etats-Unis - Couleur - 95 minutes.




L'Homme en Noir et le Pistolero se font face. King stand-off.



Terre perdue


Saga littéraire fleuve composée de huit romans et d'une nouvelle publiés entre 1978 et 2012 (sans compter Le Talisman, coécrit avec Peter Straub, les bandes dessinées ou encore Les Concordances de Robin Furth, une sorte d'encyclopédie comparable aux Appendices du Seigneur des Anneaux), La Tour Sombre est l'épine dorsale de l'œuvre de Stephen King. En plus de rendre hommage à Sergio Leone et au western spaghetti, aux écrits de Joseph Campbell et au cycle Arthurien, à Frank Herbert et à J.R.R. Tolkien, l'écrivain y dresse des parallèles plus ou moins directs avec la quasi-totalité de ses autres romans et va même jusqu'à se mettre en scène lors de l'accident qui faillit lui coûter la vie en 1999. Soit un univers adulte, complexe, riche, ludique, surréaliste, émouvant et poétique. Et un vrai casse-tête pour Hollywood, toujours à l'affût d'une nouvelle franchise apte à faire bander les geeks et remplir le tiroir-caisse. La Tour Sombre n'est sans doute pas inadaptable mais la singularité de la bête requiert de l'intelligence et des couilles, des qualités de plus en plus rares.
Premier à s'y coller avant de jeter l'éponge, J.J. Abrams hésite pendant plus de trois ans (entre 2006 et 2009) sur le format d'une adaptation qu'il coécrit avec ses compères de Lost, Carlton Cuse et Damon Lindelof. Film ou série télé ? Le projet ne décolle pas. Avec le recul, le trio de fanboys, aussi surestimé soient-ils, était pourtant le meilleur choix pour porter La Tour Sombre à l'écran, grand ou petit, les références dont ils ont truffé leurs séries témoignant d'un amour sincère et d'une vraie compréhension du matériau de base. Une belle occasion manquée donc. Puis vient le tour de Ron Howard qui prévoit trois films et deux séries télé, confie le scénario au très dispensable Akira Goldsman (coupable des Batman de Joel Schumacher et fossoyeur du Je Suis Une Légende de Richard Matheson pour Will Smith) et approche Javier Bardem pour interpréter Roland Deschain, le dernier des pistoleros et protagoniste central de La Tour Sombre. Cinq années de development hell plus tard, le bébé atterrit finalement chez Sony (après être passé chez Warner et Universal) et les ambitions sont considérablement revues à la baisse avec un seul film à l'horizon, histoire de ne pas prendre trop de risques. Si Ron Howard et Akiva Goldsman restent impliqués (le premier coproduit, le second écrit une nouvelle version), c'est le danois Nikolaj Arcel, réalisateur du très bon A Royal Affair avec Mads Mikkelsen, qui hérite de la mise en scène. Plutôt une bonne nouvelle ? Au vu du résultat, pas vraiment.
Disons-le tout net, l'adaptation est foirée dans les grandes largeurs. Passe encore le choix de confier le rôle de Roland à Idris Elba (la couleur de peau n'est pas le problème, mais j'y reviendrais) ou de penser le film comme une "suite" au cycle littéraire. Il est parfois nécessaire de trahir la lettre pour sauver l'esprit. Manque de bol, l'esprit n'est pas juste trahi, il est carrément violé. Si l'on y réfléchit cinq minutes, la quête de la Tour Sombre est semblable à toutes les quêtes du genre épique. Peu importe la destination, seul compte le voyage et les leçons que l'on en tire. Ici, point de quête mais une banale histoire de vengeance avec sauvetage de l'univers en prime. Le méchant veut détruire la Tour et faire triompher le Mal. Charge aux gentils de tuer le méchant. Et n'allez pas chercher plus loin que ça. Une intrigue de série B bouclée en 95 minutes générique compris. Vous vouliez du post-apo mystique ? Allez-vous faire foutre. Vous vouliez du western fantastique ? Allez-vous faire foutre. Vous vouliez de la magie et la promesse d'un monde dépassant l'imagination ? Allez (vraiment) vous faire foutre. Remonté de toutes parts (des rumeurs, faciles à croire, font état de coupes massives), parfois carrément cheap en dépit d'un budget confortable de 60 millions de dollars, paresseux de par ses raccourcis narratifs (c'est pratique les portails dimensionnels, ça permet d'aller vite et de justifier des ellipses) et incapable de tirer avantage de ses décors naturels (c'est tourné en Afrique du Sud mais ça pourrait tout aussi bien être la Bulgarie) , La Tour Sombre 2017 prend l'eau de toutes parts.  
Seul le casting sauve quelque peu la mise. Crédible dans l'action et charismatique, Idris Elba a peu à faire mais il le fait bien et parvient à rendre son Roland attachant à défaut de lui apporter la noblesse et la profondeur requise (quitte à changer la couleur du personnage, croisement entre l'Homme Sans Nom de Clint Eastwood et le Perceval des Chevaliers de la Table Ronde, Denzel Washington eut été un choix plus judicieux). Dans la peau de l'Homme en Noir, alias Walter Paddick, Matthew McConaughey est, quant à lui, parfait. Délaissant un temps les rôles de beaux gosses romantiques et mystérieux et son spleen texan, l'acteur embrasse avec gourmandise la méchanceté gratuite de ce sorcier aussi séduisant que cruel. La beauté du diable en quelque sorte. Félicitations également au jeune Tom Taylor qui rend justice au rôle difficile (parce que potentiellement casse-couille) de Jake Chambers, gamin paumé et un peu collant mais héroïque. 
Pour ce qu'il est, La Tour Sombre se laisse vaguement regarder. Pour ce qu'il aurait pu (et dû) être, le film de Nikolaj Arcel est une insulte à l'intelligence des spectateurs comme des amoureux de l'œuvre originale. Un vrai film de studio, en somme.

Alan Wilson          
  
       





















jeudi 10 août 2017

LOCKE (2013)

Réalisateur : Steven Knight.
Scénario : Steven Knight.
Directeur de la photographie : Haris Zambarloukos.
Musique : Dickon Hinchliffe.
Avec Tom Hardy, et les voix de Ruth Wilson, Olivia Colman, Andrew Scott, Ben Daniels, Tom Holland, ...
Grande-Bretagne/Etats-Unis - Couleur - 85 minutes.


"Merde, j'ai oublié ma compil Francis Cabrel." (Ivan Locke)




Fury Road

Et hop, encore un film concept. Soit LE genre casse-gueule par excellence, pour peu que l'égo passe avant la rigueur. Par chance, le réalisateur et scénariste Steven Knight ne ressemble en rien à un petit malin bouffi d'autosatisfaction. Ce serait même plutôt le contraire.
Si Phone Game (Colin dans une cabine - tiens, ça rime !) et Buried (Ryan dans une cabane, euh, pardon, dans un cercueil), similaires dans leur concept de huis-clos en solitaire, usaient de la mécanique du thriller pour garantir une tension constante, Locke emprunte pour sa part le chemin nettement plus théâtral du drame intimiste. Soit le risque d'assommer le spectateur avec des tunnels de dialogues pour seul moteur narratif. D'autant plus qu'à l'exception d'une poignée de plans, la caméra ne quitte jamais l'habitacle de la voiture où Ivan Locke, triste héros de cette histoire si simple, voit sa vie lui échapper, kilomètre après kilomètre, coup de fil après coup de fil.
Pragmatique, Steven Knight s'assure de garder le spectateur éveillé et captivé en évitant de trop en faire ou de s'égarer. Si le trajet qu'effectue le personnage principal est sensé durer deux heures, le montage contourne la sensation de "temps réel" par des ellipses aussi discrètes qu'efficaces et ramène le film en dessous d'1h30, générique compris. Pas de gras, pas de redondances. Autre atout majeur dans la manche du cinéaste, son scénario. L'intrigue est aussi limpide que linéaire. Une décision, une destination, des conséquences multiples. Qu'il soit confronté à sa femme, son fils, son patron, son collègue de travail ou sa compagne d'un soir et mère en devenir d'un enfant inattendu, Ivan Locke s'échine à résoudre les problèmes qui lui tombent sur le coin de la gueule les uns après les autres. A contrario de Phone Game ou Buried, déjà cités plus haut et où l'enjeu était unique (survivre), Locke créé de multiples sous-intrigues et relance l'intérêt en permanence. Steven Knight se permet même des interludes sous forme de monologues dont on imagine qu'ils prennent place dans l'esprit en surchauffe du personnage principal. Des fondations solides mais qui ne serviraient à rien sans un interprète solide pour porter le film sur ses épaules. Le temps est donc venu de parler de Tom Hardy.
Entre de mauvaises mains, Ivan Locke apparaîtrait bien vite pour un salaud, mari infidèle et ouvrier monomaniaque. Seul en scène (ou presque), brillant et magnétique de bout en bout, Tom Hardy opte pour des choix nuancés. Souvent sollicité pour son charisme brut et son jeu physique, l'acteur londonien se concentre ici, pour l'essentiel, sur sa voix et son accent (oubliez la version française donc). Il fait d'Ivan Locke un gallois, calme et déterminé et qui ne fend pas l'armure facilement. Un homme avec des principes et qui n'a de cesse de vouloir guérir les cicatrices du passé. Un homme fondamentalement bon et qui va accepte de payer sans broncher pour l'erreur qu'il a commis. Impossible de décrocher de Tom Hardy dont le talent résiste à une photo assez dégueulasse et inconfortable, blafarde, trouble et surchargée de reflets disgracieux, unique défaut d'un long-métrage solide et émouvant.

Alan Wilson