Blog cinéma d'utilité publique

Blog cinéma d'utilité publique
Obligatoire de 7 à 77 ans

dimanche 20 août 2017

SPETTERS (1980)

Réalisateur : Paul Verhoeven.
Scénario : Gerard Soeteman, Jan Wolkers.
Directeur de la photographie : Jost Vacano.
Musique : Ton Scherpenzeel, Kayak.
Avec Hans Van Tongeren, Renée Soutendjik, Toon Agterberg, Maarten Spanjer, Jeroen Krabbe, Rutger Hauer, ...
Pays-Bas - Couleurs - 120 minutes.




"Foutez-moi la paix sinon je force votre pote le loubard à boire toute ma végétaline !" (Fientje, femme à frire)



Il Était une Fois Aux Pays-Bas.


Il fut une époque où les Pays Bas étaient fiers de Paul Verhoeven. La série médiévale populaire Floris et les succès critiques internationaux de Turkish Delight (1973) et Soldier of Orange (1977) avaient fait de lui un cinéaste prometteur, presque respectable. Puis vint Spetters, l'outrage. Après la lune de miel, les insultes et la rupture. Considéré comme homophobe, misogyne et tout simplement dégradant, Spetters fédéra contre lui la critique et une partie du public. Une haine justifiée ? Oui et non. Si le film de Verhoeven ne souffre d'aucune des tares dont on l'accuse, il ne cherche pas non plus à s'attirer la sympathie du public.

Quand on ne regarde la vérité que de profil ou de trois quarts, on la voit toujours mal. Il y a peu de gens qui savent la contempler de face. (Gustave Flaubert)

Conte moral virant au pamphlet nihiliste, Spetters crache à la face du public la vérité nue et sale de sa propre médiocrité et de ses rêves déçus. Un geste aussi courageux que suicidaire de la part d'un cinéaste en  pleine possession de ses moyens, lucide et virtuose. Mais que raconte donc Spetters ?
Rien, Eef et Hans sont trois jeunes gens passionnés de motocross et qui vouent un culte au champion de la discipline, le bellâtre Gerrit Witkamp (Rutger Hauer, formidable de charisme et d'hypocrisie bas du front). Ils rêvent, ils conduisent vite, ils dansent, ils baisent. Ils vont bien vite déchanter. De passage dans leur ville, accompagnant son frère dans une roulotte, Fientje (la tornade blonde Renée Soutendjik), une vendeuse de frite qui rêve de gloire et d'un ailleurs qui ne sente pas le graillon va débarquer dans la vie des trois garçons et tout changer. Qu'elle le veuille ou pas. Pilote prometteur, Rien va se briser la colonne vertébrale dans un accident stupide. Eef va découvrir la vraie nature de l'homophobie qu'il affiche sans honte à la suite d'un viol collectif. Et Hans, naïf et sans talent, va enfin comprendre ce que cache les rires de ceux qui l'entourent.
Impeccablement structuré, le scénario de Gerard Soeteman (complice de Verhoven depuis Business Is Business et sur toute sa période hollandaise) cache ses implacables mécanismes de tragédie moderne derrière une trivialité de façade et tire à boulets rouges sur l'hypocrisie de la société contemporaine. Les rêves que l'on vend à la jeunesse ne sont que des mensonges et des instruments de soumission. On patauge dans la merde mais l'on voudrait nous faire croire que ça sent la rose et les lendemains qui chantent. La religion, les médias, la célébrité, les dogmes, la plèbe. La vérité rattrape tout le monde et broie toutes les illusions. Les trois héros de Spetters ont beau foncer vers un avenir qu'ils imaginent radieux sur leurs bécanes rutilantes, le destin finira par les forcer à mettre pied à terre et à couper le moteur. Un retour à la réalité annoncé d'ailleurs dès le départ par les pannes incessantes de la moto de Hans. Le genre de discours si acide et terrible que le public d'alors n'a pas pu le digérer. A cette bonne rasade de vitriol, Verhoeven en rajoute encore par des images fortes sous une lumière froide, cadrant sans cérémonie le sexe triste de ses personnages et un viol homosexuel particulièrement violent. Pour choquer ? Non. Pour cadrer avec son discours de vérité, tout simplement.
Pourtant, et là est le paradoxe, Paul Verhoven ne manque pas de tendresse pour ses personnages. Rien, Eef, Hans et Fientje sont des losers parfois immondes, souvent vulgaires, mais toujours attachants. Le réalisateur ne les prend jamais de haut, bien au contraire. L'énergie qu'il déploie (la caméra est presque toujours en mouvement et le montage est sidérant de dynamisme) témoigne de l'admiration qu'il porte à la jeunesse et aux pulsions de sexe, de vie et de mort qui en font tout le sel. "Vous les trouverez laids et pitoyables, et vous aurez sans doute raison, mais moi, malgré tout, je les aime" semble nous dire Verhoeven. Le Hollandais violent serait t-il un punk sentimental ? C'est bien possible. Le destin funeste qu'il réserve à l'un des personnages est si émouvant qu'on en viendrait presque à verser de chaudes larmes. Spetters n'est définitivement pas l'œuvre d'un artiste cynique et condescendant.
Outre le plaisir immédiat que Spetters offre à qui saura regarder en face, sans préjugés et sans crainte du reflet peu flatteur que renvoie ce miroir qui nous est tendu, le cinéphile saura s'amuser d'y découvrir une œuvre somme. D'une part, Spetters poursuit et amène jusqu'à son point de rupture le travail que mène Verhoeven sur l'horreur de notre civilisation de faux-culs depuis son tout premier long-métrage où les fantasmes cachés et grotesques des mâles hollandais se dévoilaient dans un bordel. D'autre part, les futures œuvres du cinéaste y sont déjà en germe. Fientje et Nomi Malone, l'héroïne de Showgirls ont beaucoup en commun dans leur opportunisme forcené (et les deux films partagent également une scène où la tension sexuelle se voit stoppée net par les menstruations de la demoiselle). Johnny Rico, Dizzy Flores et Carl Jenkins, le trio de jeunes amis qui lance Starship Troopers ne sont quant à eux que des versions Barbie et Ken des motards de Spetters. Mêmes rêves, mêmes destins brisés (ou presque). Les loubards violents de Robocop sont à peine plus évolués que les gangs en blousons de cuir qui ravagent le bar du père de Hans. Enfin, le viol que subit Eef le rapproche de Michèle, l'héroïne de Elle, tous les deux trouvant dans ce traumatisme sexuel la force de briser les chaînes qui les entravent depuis trop longtemps ou, du moins, d'ouvrir les hostilités.
Spetters, un affront aux bonnes mœurs ? Peut-être. Un chef d'œuvre ? Oui, et pas qu'un peu.

Alan Wilson     




 



























lundi 14 août 2017

LA TOUR SOMBRE (2017)

Titre original : The Dark Tower.
Réalisateur : Nikolaj Arcel.
Scénario : Akiva Goldsman, Jeff Pinkner, Anders Thomas Jensen, NIkolaj Arcel.
Directeur de la photographie : Rasmus Videbaek.
Musique : Tom Holkenborg, alias Junkie XL.
Avec Idris Elba, Matthew McConaughey, Tom Taylor, Claudia Kim, Katheryn Winnick, Fran Kranz, Abbey Lee, Jackie Earl Haley, ...
Etats-Unis - Couleur - 95 minutes.




L'Homme en Noir et le Pistolero se font face. King stand-off.



Terre perdue


Saga littéraire fleuve composée de huit romans et d'une nouvelle publiés entre 1978 et 2012 (sans compter Le Talisman, coécrit avec Peter Straub, les bandes dessinées ou encore Les Concordances de Robin Furth, une sorte d'encyclopédie comparable aux Appendices du Seigneur des Anneaux), La Tour Sombre est l'épine dorsale de l'œuvre de Stephen King. En plus de rendre hommage à Sergio Leone et au western spaghetti, aux écrits de Joseph Campbell et au cycle Arthurien, à Frank Herbert et à J.R.R. Tolkien, l'écrivain y dresse des parallèles plus ou moins directs avec la quasi-totalité de ses autres romans et va même jusqu'à se mettre en scène lors de l'accident qui faillit lui coûter la vie en 1999. Soit un univers adulte, complexe, riche, ludique, surréaliste, émouvant et poétique. Et un vrai casse-tête pour Hollywood, toujours à l'affût d'une nouvelle franchise apte à faire bander les geeks et remplir le tiroir-caisse. La Tour Sombre n'est sans doute pas inadaptable mais la singularité de la bête requiert de l'intelligence et des couilles, des qualités de plus en plus rares.
Premier à s'y coller avant de jeter l'éponge, J.J. Abrams hésite pendant plus de trois ans (entre 2006 et 2009) sur le format d'une adaptation qu'il coécrit avec ses compères de Lost, Carlton Cuse et Damon Lindelof. Film ou série télé ? Le projet ne décolle pas. Avec le recul, le trio de fanboys, aussi surestimé soient-ils, était pourtant le meilleur choix pour porter La Tour Sombre à l'écran, grand ou petit, les références dont ils ont truffé leurs séries témoignant d'un amour sincère et d'une vraie compréhension du matériau de base. Une belle occasion manquée donc. Puis vient le tour de Ron Howard qui prévoit trois films et deux séries télé, confie le scénario au très dispensable Akira Goldsman (coupable des Batman de Joel Schumacher et fossoyeur du Je Suis Une Légende de Richard Matheson pour Will Smith) et approche Javier Bardem pour interpréter Roland Deschain, le dernier des pistoleros et protagoniste central de La Tour Sombre. Cinq années de development hell plus tard, le bébé atterrit finalement chez Sony (après être passé chez Warner et Universal) et les ambitions sont considérablement revues à la baisse avec un seul film à l'horizon, histoire de ne pas prendre trop de risques. Si Ron Howard et Akiva Goldsman restent impliqués (le premier coproduit, le second écrit une nouvelle version), c'est le danois Nikolaj Arcel, réalisateur du très bon A Royal Affair avec Mads Mikkelsen, qui hérite de la mise en scène. Plutôt une bonne nouvelle ? Au vu du résultat, pas vraiment.
Disons-le tout net, l'adaptation est foirée dans les grandes largeurs. Passe encore le choix de confier le rôle de Roland à Idris Elba (la couleur de peau n'est pas le problème, mais j'y reviendrais) ou de penser le film comme une "suite" au cycle littéraire. Il est parfois nécessaire de trahir la lettre pour sauver l'esprit. Manque de bol, l'esprit n'est pas juste trahi, il est carrément violé. Si l'on y réfléchit cinq minutes, la quête de la Tour Sombre est semblable à toutes les quêtes du genre épique. Peu importe la destination, seul compte le voyage et les leçons que l'on en tire. Ici, point de quête mais une banale histoire de vengeance avec sauvetage de l'univers en prime. Le méchant veut détruire la Tour et faire triompher le Mal. Charge aux gentils de tuer le méchant. Et n'allez pas chercher plus loin que ça. Une intrigue de série B bouclée en 95 minutes générique compris. Vous vouliez du post-apo mystique ? Allez-vous faire foutre. Vous vouliez du western fantastique ? Allez-vous faire foutre. Vous vouliez de la magie et la promesse d'un monde dépassant l'imagination ? Allez (vraiment) vous faire foutre. Remonté de toutes parts (des rumeurs, faciles à croire, font état de coupes massives), parfois carrément cheap en dépit d'un budget confortable de 60 millions de dollars, paresseux de par ses raccourcis narratifs (c'est pratique les portails dimensionnels, ça permet d'aller vite et de justifier des ellipses) et incapable de tirer avantage de ses décors naturels (c'est tourné en Afrique du Sud mais ça pourrait tout aussi bien être la Bulgarie) , La Tour Sombre 2017 prend l'eau de toutes parts.  
Seul le casting sauve quelque peu la mise. Crédible dans l'action et charismatique, Idris Elba a peu à faire mais il le fait bien et parvient à rendre son Roland attachant à défaut de lui apporter la noblesse et la profondeur requise (quitte à changer la couleur du personnage, croisement entre l'Homme Sans Nom de Clint Eastwood et le Perceval des Chevaliers de la Table Ronde, Denzel Washington eut été un choix plus judicieux). Dans la peau de l'Homme en Noir, alias Walter Paddick, Matthew McConaughey est, quant à lui, parfait. Délaissant un temps les rôles de beaux gosses romantiques et mystérieux et son spleen texan, l'acteur embrasse avec gourmandise la méchanceté gratuite de ce sorcier aussi séduisant que cruel. La beauté du diable en quelque sorte. Félicitations également au jeune Tom Taylor qui rend justice au rôle difficile (parce que potentiellement casse-couille) de Jake Chambers, gamin paumé et un peu collant mais héroïque. 
Pour ce qu'il est, La Tour Sombre se laisse vaguement regarder. Pour ce qu'il aurait pu (et dû) être, le film de Nikolaj Arcel est une insulte à l'intelligence des spectateurs comme des amoureux de l'œuvre originale. Un vrai film de studio, en somme.

Alan Wilson          
  
       





















jeudi 10 août 2017

LOCKE (2013)

Réalisateur : Steven Knight.
Scénario : Steven Knight.
Directeur de la photographie : Haris Zambarloukos.
Musique : Dickon Hinchliffe.
Avec Tom Hardy, et les voix de Ruth Wilson, Olivia Colman, Andrew Scott, Ben Daniels, Tom Holland, ...
Grande-Bretagne/Etats-Unis - Couleur - 85 minutes.


"Merde, j'ai oublié ma compil Francis Cabrel." (Ivan Locke)




Fury Road

Et hop, encore un film concept. Soit LE genre casse-gueule par excellence, pour peu que l'égo passe avant la rigueur. Par chance, le réalisateur et scénariste Steven Knight ne ressemble en rien à un petit malin bouffi d'autosatisfaction. Ce serait même plutôt le contraire.
Si Phone Game (Colin dans une cabine - tiens, ça rime !) et Buried (Ryan dans une cabane, euh, pardon, dans un cercueil), similaires dans leur concept de huis-clos en solitaire, usaient de la mécanique du thriller pour garantir une tension constante, Locke emprunte pour sa part le chemin nettement plus théâtral du drame intimiste. Soit le risque d'assommer le spectateur avec des tunnels de dialogues pour seul moteur narratif. D'autant plus qu'à l'exception d'une poignée de plans, la caméra ne quitte jamais l'habitacle de la voiture où Ivan Locke, triste héros de cette histoire si simple, voit sa vie lui échapper, kilomètre après kilomètre, coup de fil après coup de fil.
Pragmatique, Steven Knight s'assure de garder le spectateur éveillé et captivé en évitant de trop en faire ou de s'égarer. Si le trajet qu'effectue le personnage principal est sensé durer deux heures, le montage contourne la sensation de "temps réel" par des ellipses aussi discrètes qu'efficaces et ramène le film en dessous d'1h30, générique compris. Pas de gras, pas de redondances. Autre atout majeur dans la manche du cinéaste, son scénario. L'intrigue est aussi limpide que linéaire. Une décision, une destination, des conséquences multiples. Qu'il soit confronté à sa femme, son fils, son patron, son collègue de travail ou sa compagne d'un soir et mère en devenir d'un enfant inattendu, Ivan Locke s'échine à résoudre les problèmes qui lui tombent sur le coin de la gueule les uns après les autres. A contrario de Phone Game ou Buried, déjà cités plus haut et où l'enjeu était unique (survivre), Locke créé de multiples sous-intrigues et relance l'intérêt en permanence. Steven Knight se permet même des interludes sous forme de monologues dont on imagine qu'ils prennent place dans l'esprit en surchauffe du personnage principal. Des fondations solides mais qui ne serviraient à rien sans un interprète solide pour porter le film sur ses épaules. Le temps est donc venu de parler de Tom Hardy.
Entre de mauvaises mains, Ivan Locke apparaîtrait bien vite pour un salaud, mari infidèle et ouvrier monomaniaque. Seul en scène (ou presque), brillant et magnétique de bout en bout, Tom Hardy opte pour des choix nuancés. Souvent sollicité pour son charisme brut et son jeu physique, l'acteur londonien se concentre ici, pour l'essentiel, sur sa voix et son accent (oubliez la version française donc). Il fait d'Ivan Locke un gallois, calme et déterminé et qui ne fend pas l'armure facilement. Un homme avec des principes et qui n'a de cesse de vouloir guérir les cicatrices du passé. Un homme fondamentalement bon et qui va accepte de payer sans broncher pour l'erreur qu'il a commis. Impossible de décrocher de Tom Hardy dont le talent résiste à une photo assez dégueulasse et inconfortable, blafarde, trouble et surchargée de reflets disgracieux, unique défaut d'un long-métrage solide et émouvant.

Alan Wilson        















































jeudi 23 mars 2017

TU NE TUERAS POINT (2016)

Titre original : Hacksaw Ridge.
Réalisateur : Mel Gibson.
Scénario : Robert Schenkkan, Andrew Knight.
Directeur de la photographie : Simon Duggan.
Musique : Rupert Gregson-Williams.
Avec Andrew Garfield, Vince Vaughn, Luke Bracey, Sam Worthington, Teresa Palmer, Hugo Weaving, Rachel Griffiths, ...
Etats-Unis/Australie - Couleurs - 139 minutes.


Même sans les collants de Spider-Man, Andrew Garfield reste un (super) héros


"Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal ..."

Dix années séparent le tétanisant Apocalypto de Tu Ne Tueras Point. Dix années de mise à l'écart pour Mel Gibson, acteur et cinéaste d'exception, en raisons de frasques (un peu) et de paroles (beaucoup) jugées nauséabondes par le tout Hollywood. Dix années bien trop longues.
Si Mad Mel nous revient aujourd'hui par le biais d'un film de guerre reposant sur l'histoire vraie de Desmond Doss, premier objecteur de conscience à recevoir la médaille d'Honneur pour l'héroïsme insensé dont il fit preuve lors de la bataille d'Okinawa en mai 1945, il n'est animé ni par un esprit revanchard, ni par un besoin de rédemption. Les notions de foi et de sacrifice ainsi qu'un rapport très paradoxal à la violence la plus extrême continuent d'irriguer son cinéma comme ce fut le cas hier pour Braveheart ou La Passion du Christ. Les convictions inébranlables de son héros face à l'adversité, le martyr vécu comme une expérience spirituelle, la boucherie de scènes de combat au réalisme éprouvant, pas de doutes possibles, Tu Ne Tueras Point est bien un film de Mel Gibson, l'œuvre d'un artiste n'ayant nullement l'intention d'adoucir ou de rationnaliser son propos pour montre patte blanche. Radical un jour, radical toujours.
Si les corps mutilés, carbonisés, dévastés et ravagés que filment Gibson avec une gourmandise parfois ambiguë renvoient aux saillies gores d'Il Faut Sauver le Soldat Ryan et de ses dérivés télévisuels (Band of Brothers et, surtout, The Pacific) en particulier et à l'ultra-violence d'une frange de la production américaine contemporaine en général, il ne s'agit en aucun cas d'un aveu de modernité de la part d'un cinéaste qui ancre définitivement son film dans le passé. Avec des références allant de King Vidor à Raoul Walsh et Samuel Fuller en passant par le bis guerrier italien (celui-là même que le Stallone de John Rambo revendiquait fièrement) et les emprunts stylistiques aux mentors de toujours, Richard Donner et George Miller, Mel Gibson navigue à contre-courant d'un cinéma populaire de plus en plus désincarné et tape à l'œil. A l'image, en fait, de son héros (formidable Andrew Garfield), désireux de servir son pays et de prendre l'uniforme mais refusant mordicus de brandir une arme et de tuer. Mais s'il est une influence qui transpire tout du long de Tu Ne Tueras Point, c'est bien celle d'un film que l'on cite trop peu, à savoir Windtalkers - Les Messagers du Vent. Défiguré dans sa version du cinéma (il faut se ruer le director's cut, seulement disponible en dvd zone 1), sacrifié au box-office et mis à l'écart par la critique, le superbe film de guerre de John Woo (catholique revendiquant sa foi avec autant de ferveur que Mel Gibson) était jusqu'à ce jour la plus intéressante tentative de mêler spiritualité, classicisme désuet et grand spectacle belliqueux sur les champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale. Outre le fait qu'ils posent tous les deux leurs caméras sur le front du Pacifique et que le score de Rupert Gregson-Williams sonnent souvent comme du James Horner, Gibson et Woo se rejoignent par le besoin de chercher l'homme derrière le soldat, le cœur qui bat chez les héros, la croyance qui préserve de la sauvagerie gratuite. Un regard à hauteur d'homme, naïf et extatique mais d'une sincérité indéniable, chaque film se vivant comme une prière. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", nous dit John Woo, héritier du Nouveau Testament. "Tu ne tueras point", nous dit Mel Gibson, plongeant dans l'Ancien. Je ne saurais que trop vous recommander un double programme.
Couvert de louanges par la critique, nominé un peu partout, couronné par un joli succès public (près de quatre fois sa mise initiale, très raisonnable, de 40 millions de dollars), d'aucuns voudrait voir en Tu Ne Tueras Point le retour de Mel Gibson. Il n'était pas parti. Il était toujours là. Vous aviez seulement décidé de détourner votre regard de ce grand écorché vif.


Alan Wilson





mercredi 28 septembre 2016

THE REVENANT (2015)

Réalisateur : Alejandro Gonzalez Iñarritu.
Scénario : Mark L. Smith, Alejandro Gonzalez Iñarritu, d'après The Revenant de Michael Punke.
Directeur de la photographie : Emmanuel Lubezki.
Musique : Ryuichi Sakamoto.
Avec Leonardo Di Caprio, Tom Hardy, Domnhall Gleeson, Will Poulter, Forrest Goodluck, Duane Howard, Arthur Redcloud, ...

Etats-Unis - Couleur - 156 minutes.


Nature & Découverte, le film.



La Passion de Leo

Le doute n'est pas permis, Alejandro Gonzalez Iñarritu appartient à cette race de cinéastes persuadés (souvent à raison) d'évoluer à cent coudées au-dessus des autres, rejoignant ainsi des pointures - et fortes têtes - telles que Stanley Kubrick, Michelangelo Antonioni ou encore David Fincher. Ne serait-ce que pour ses talents de formaliste ambitieux et de directeur d'acteur pointu ainsi que son refus de la facilité, on serait tenté de lui laisser une place dans ce club très select. Mais les exploits accomplis sur la forme souffrent systématiquement de lourdeurs sur le fond, le mexicain ayant pris la fâcheuse habitude d'asséner ses messages avec la grâce et la légèreté d'un convoi de blindés allemands. Exemple le plus frappant (c'est le cas de le dire), Birdman dissimulait ainsi fort mal derrière sa virtuosité de façade et son casting impeccable un discours binaire, maladroit et carrément hautain sur l'Art et le Cinéma. En optant, avec The Revenant, d'enchaîner sur un pur survival, linéaire et physique, genre plus viscéral qu'intellectuel, Iñarritu promettait de se concentrer sur ses points forts sans pour autant se renier. Le pari n'est pas totalement réussi mais il donne tout de même à voir un cinéaste bien plus concentré sur son art à proprement parler que sur la perception que la critique et le public peuvent en avoir.
Evacuons d'emblée le caillou dans la chaussure d'Iñarritu. Parasité par une narration qui patine un peu en son centre avant de dérailler dans sa dernière ligne droite, The Revenant manque de concision. Il y a d'abord ces séquences oniriques à la symbolique pas très fine (on pense à cette église en ruine ou à cette montagne d'ossements) lorgnant vers le cinéma de Terrence Malick et explicitant inutilement des thématiques pourtant limpides (la violence de la colonisation des pionniers, l'abandon du héros). Et puis il y a cette poursuite finale certes haletante mais totalement inutile et se concluant à la fois sur un rebondissement effroyablement téléphoné et un plan face caméra si ostentatoire dans son envie d'interpeller le spectateur qu'il brise quelque peu la magie de la fiction. On aurait pu se passer de ces saillies où le cinéaste nous rappelle avec tambours et trompettes qu'il est avant tout un "auteur".
Car, et c'est là la plus grande force de ce film, le spectacle incroyable de cette nature sauvage, indomptable et magnifique se suffit amplement à lui-même. Fort du travail de titan accompli par le chef op' Emmanuel Lubezki (qui mériterait presque le statut de co-réalisateur), Iñarritu livre une expérience inoubliable. Physique, l'odyssée (véridique) du trappeur Hugh Glass se ressent avec une puissance rare. Chaque plan est un tableau, chaque séquence une épreuve immersive. Expression parfois galvaudée, le "on n'avait jamais vu ça auparavant" prend ici tout son sens. En repoussant les limites d'un tournage en conditions extrêmes et en usant à bon escient de trucages impeccables place aujourd'hui la barre très très haute pour quiconque passera après lui.
Mais une telle démonstration de force serait bien vaine si la caractérisation de TOUS les personnages, principaux comme secondaires, ne sonnait pas aussi juste. Fonctionnant comme les deux faces d'une seule pièce, les personnages interprétés par Leonardo Di Caprio et Tom Hardy sont à la fois complexes, dénués de tout manichéisme et profondément attachants pour leur failles. Chacun dans un registre qu'il connaît sur le bout des doigts, les deux acteurs donnent tout ce qu'ils ont. Plus surprenantes encore sont les prestations de Domnhall Gleeson (qui, de Ex Machina au Star Wars de J.J. Abrams en passant par ce Revenant, s'est définitivement forgé un prénom) et Will Poulter (dont le visage poupin et le regard un peu perdu font ici merveille) parce qu'en eux repose la conscience troublée de toute une nation en devenir.
On ne manquera pas non plus de saluer le traitement réservé aux indiens et qui fait autant écho au Danse Avec Les Loups de Kevin Costner qu'au Nouveau Monde de Terrence Malick (encore lui !). Si les pionniers agissent tel une force apportant le chaos, la violence et la mort, les Arikaras sont dépeints comme les vrais seigneurs de la Terre, ne faisant qu'un avec Mère Nature. Avec une tristesse immense et sincère, c'est le viol de leur territoire tout autant que celui de leur chair que Iñarritu expose sous la froide lumière de l'Histoire.
Méritant plus d'un visionnage pour en apprécier la richesse thématique et formelle, The Revenant  n'est peut-être pas un chef d'œuvre mais c'est déjà un grand film.

Alan Wilson
   

vendredi 26 août 2016

CROOKLYN (1994)

Réalisateur : Spike Lee.
Scénario : Joie Susannah Lee, Cinqué Lee, Spike Lee.
Directeur de la photographie : Arthur Jafa.
Musique : Terence Blanchard.
Avec Alfre Woodard, Delroy Lindo, Zelda Harris, Carlton Williams, Sharif Rashed, Chris Knowings, Spike Lee, ...
Etats-Unis - Couleur - 115 minutes


L'été en pente douce de Troy (Zelda Harris).


The Spike Lee Show

Œuvre semi-autobiographique et familiale, Crooklyn offre à voir une facette inédite de la personnalité bouillonnante de Spike Lee. Soul et funky (superbe bande originale), puisant ses racines dans la Nouvelle Vague Française et le Néo-Réalisme Italien, c'est le portrait ludique, doux et poétique d'une famille dans le Brooklyn du début des années 70. C'est un film apaisé, certes ponctuellement traversé d'éclairs fiévreux, de disputes et de tragédies inattendues mais ne versant jamais dans le misérabilisme ou le drame plombant.  
Déroulant son intrigue (ou plutôt son absence d'intrigue à proprement parler) sur tout un été, Crooklyn vaque d'un membre de la famille Carmichael à un autre au gré des discussions, des petites chamailleries et des galères quotidiennes, tout en se recentrant fréquemment sur le personnage de Troy, 10 ans, seule fille du couple formé à l'écran par Alfre Woodard et Delroy Lindo. Interprétée avec un talent fou par la craquante Zelda Harris, elle est le cœur du film et son âme, véritable Antoine Doinel au féminin. Et, en filigrane, c'est son passage impromptu à l'âge adulte qui se dessine jusqu'à un épilogue tendrement émouvant. L'hommage d'un cinéaste à sa petite sœur devenue femme.


Alan Wilson
  
      

jeudi 25 août 2016

PIRANHA 3DD (2012)

Réalisateur John Gulager.
Scénario : Patrick Melton, Marcus Dunstan, Joel Soisson.
Directeur de la photographie : Alexandre Lehmann.
Musique : Elia Cmiral.
Avec Danielle Panabaker, Matt Bush, David Koechner, Chris Zylka, Katrina Bowden, Gary Busey, Christopher Lloyd, David Hasselhoff, ...
Etats-Unis - Couleur - 83 minutes.


Y avait pas de photos moins moches. Et puis, ça résume bien le machin.


Poisson pas frais.


Gore et festif, le Piranha 3D d'Alexandre Aja méritait sans doute une suite. Mais pas celle-là. Fauchée comme les blés (certains effets numériques sont inachevés et l'on a réutilisé des faux cadavres du film précédent ... sans prendre la peine de les couvrir de faux sang !), mal écrite, mal jouée, mal réalisée et mal montée, cette séquelle commise par les (ir)responsables de la franchise Feast (ne perdez pas votre temps) tente bien maladroitement de dupliquer le cocktail cul et hémoglobine du film d'Aja sans jamais y parvenir ne serait-ce qu'une seule seconde. De ce navet sans saveur, les amateurs de caméos foireux pourront toujours sauver la "prestation" autre d'un David Hasselhoff dont on se demande s'il est bien conscient qu'on le ridiculise en continu.  

Alan Wilson.