Blog cinéma d'utilité publique

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jeudi 23 mars 2017

TU NE TUERAS POINT (2016)

Titre original : Hacksaw Ridge.
Réalisateur : Mel Gibson.
Scénario : Robert Schenkkan, Andrew Knight.
Directeur de la photographie : Simon Duggan.
Musique : Rupert Gregson-Williams.
Avec Andrew Garfield, Vince Vaughn, Luke Bracey, Sam Worthington, Teresa Palmer, Hugo Weaving, Rachel Griffiths, ...
Etats-Unis/Australie - Couleurs - 139 minutes.


Même sans les collants de Spider-Man, Andrew Garfield reste un (super) héros


"Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal ..."

Dix années séparent le tétanisant Apocalypto de Tu Ne Tueras Point. Dix années de mise à l'écart pour Mel Gibson, acteur et cinéaste d'exception, en raisons de frasques (un peu) et de paroles (beaucoup) jugées nauséabondes par le tout Hollywood. Dix années bien trop longues.
Si Mad Mel nous revient aujourd'hui par le biais d'un film de guerre reposant sur l'histoire vraie de Desmond Doss, premier objecteur de conscience à recevoir la médaille d'Honneur pour l'héroïsme insensé dont il fit preuve lors de la bataille d'Okinawa en mai 1945, il n'est animé ni par un esprit revanchard, ni par un besoin de rédemption. Les notions de foi et de sacrifice ainsi qu'un rapport très paradoxal à la violence la plus extrême continuent d'irriguer son cinéma comme ce fut le cas hier pour Braveheart ou La Passion du Christ. Les convictions inébranlables de son héros face à l'adversité, le martyr vécu comme une expérience spirituelle, la boucherie de scènes de combat au réalisme éprouvant, pas de doutes possibles, Tu Ne Tueras Point est bien un film de Mel Gibson, l'œuvre d'un artiste n'ayant nullement l'intention d'adoucir ou de rationnaliser son propos pour montre patte blanche. Radical un jour, radical toujours.
Si les corps mutilés, carbonisés, dévastés et ravagés que filment Gibson avec une gourmandise parfois ambiguë renvoient aux saillies gores d'Il Faut Sauver le Soldat Ryan et de ses dérivés télévisuels (Band of Brothers et, surtout, The Pacific) en particulier et à l'ultra-violence d'une frange de la production américaine contemporaine en général, il ne s'agit en aucun cas d'un aveu de modernité de la part d'un cinéaste qui ancre définitivement son film dans le passé. Avec des références allant de King Vidor à Raoul Walsh et Samuel Fuller en passant par le bis guerrier italien (celui-là même que le Stallone de John Rambo revendiquait fièrement) et les emprunts stylistiques aux mentors de toujours, Richard Donner et George Miller, Mel Gibson navigue à contre-courant d'un cinéma populaire de plus en plus désincarné et tape à l'œil. A l'image, en fait, de son héros (formidable Andrew Garfield), désireux de servir son pays et de prendre l'uniforme mais refusant mordicus de brandir une arme et de tuer. Mais s'il est une influence qui transpire tout du long de Tu Ne Tueras Point, c'est bien celle d'un film que l'on cite trop peu, à savoir Windtalkers - Les Messagers du Vent. Défiguré dans sa version du cinéma (il faut se ruer le director's cut, seulement disponible en dvd zone 1), sacrifié au box-office et mis à l'écart par la critique, le superbe film de guerre de John Woo (catholique revendiquant sa foi avec autant de ferveur que Mel Gibson) était jusqu'à ce jour la plus intéressante tentative de mêler spiritualité, classicisme désuet et grand spectacle belliqueux sur les champs de bataille de la Seconde Guerre Mondiale. Outre le fait qu'ils posent tous les deux leurs caméras sur le front du Pacifique et que le score de Rupert Gregson-Williams sonnent souvent comme du James Horner, Gibson et Woo se rejoignent par le besoin de chercher l'homme derrière le soldat, le cœur qui bat chez les héros, la croyance qui préserve de la sauvagerie gratuite. Un regard à hauteur d'homme, naïf et extatique mais d'une sincérité indéniable, chaque film se vivant comme une prière. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", nous dit John Woo, héritier du Nouveau Testament. "Tu ne tueras point", nous dit Mel Gibson, plongeant dans l'Ancien. Je ne saurais que trop vous recommander un double programme.
Couvert de louanges par la critique, nominé un peu partout, couronné par un joli succès public (près de quatre fois sa mise initiale, très raisonnable, de 40 millions de dollars), d'aucuns voudrait voir en Tu Ne Tueras Point le retour de Mel Gibson. Il n'était pas parti. Il était toujours là. Vous aviez seulement décidé de détourner votre regard de ce grand écorché vif.


Alan Wilson