Blog cinéma d'utilité publique

Blog cinéma d'utilité publique
Obligatoire de 7 à 77 ans

mercredi 28 septembre 2016

THE REVENANT (2015)

Réalisateur : Alejandro Gonzalez Iñarritu.
Scénario : Mark L. Smith, Alejandro Gonzalez Iñarritu, d'après The Revenant de Michael Punke.
Directeur de la photographie : Emmanuel Lubezki.
Musique : Ryuichi Sakamoto.
Avec Leonardo Di Caprio, Tom Hardy, Domnhall Gleeson, Will Poulter, Forrest Goodluck, Duane Howard, Arthur Redcloud, ...

Etats-Unis - Couleur - 156 minutes.


Nature & Découverte, le film.



La Passion de Leo

Le doute n'est pas permis, Alejandro Gonzalez Iñarritu appartient à cette race de cinéastes persuadés (souvent à raison) d'évoluer à cent coudées au-dessus des autres, rejoignant ainsi des pointures - et fortes têtes - telles que Stanley Kubrick, Michelangelo Antonioni ou encore David Fincher. Ne serait-ce que pour ses talents de formaliste ambitieux et de directeur d'acteur pointu ainsi que son refus de la facilité, on serait tenté de lui laisser une place dans ce club très select. Mais les exploits accomplis sur la forme souffrent systématiquement de lourdeurs sur le fond, le mexicain ayant pris la fâcheuse habitude d'asséner ses messages avec la grâce et la légèreté d'un convoi de blindés allemands. Exemple le plus frappant (c'est le cas de le dire), Birdman dissimulait ainsi fort mal derrière sa virtuosité de façade et son casting impeccable un discours binaire, maladroit et carrément hautain sur l'Art et le Cinéma. En optant, avec The Revenant, d'enchaîner sur un pur survival, linéaire et physique, genre plus viscéral qu'intellectuel, Iñarritu promettait de se concentrer sur ses points forts sans pour autant se renier. Le pari n'est pas totalement réussi mais il donne tout de même à voir un cinéaste bien plus concentré sur son art à proprement parler que sur la perception que la critique et le public peuvent en avoir.
Evacuons d'emblée le caillou dans la chaussure d'Iñarritu. Parasité par une narration qui patine un peu en son centre avant de dérailler dans sa dernière ligne droite, The Revenant manque de concision. Il y a d'abord ces séquences oniriques à la symbolique pas très fine (on pense à cette église en ruine ou à cette montagne d'ossements) lorgnant vers le cinéma de Terrence Malick et explicitant inutilement des thématiques pourtant limpides (la violence de la colonisation des pionniers, l'abandon du héros). Et puis il y a cette poursuite finale certes haletante mais totalement inutile et se concluant à la fois sur un rebondissement effroyablement téléphoné et un plan face caméra si ostentatoire dans son envie d'interpeller le spectateur qu'il brise quelque peu la magie de la fiction. On aurait pu se passer de ces saillies où le cinéaste nous rappelle avec tambours et trompettes qu'il est avant tout un "auteur".
Car, et c'est là la plus grande force de ce film, le spectacle incroyable de cette nature sauvage, indomptable et magnifique se suffit amplement à lui-même. Fort du travail de titan accompli par le chef op' Emmanuel Lubezki (qui mériterait presque le statut de co-réalisateur), Iñarritu livre une expérience inoubliable. Physique, l'odyssée (véridique) du trappeur Hugh Glass se ressent avec une puissance rare. Chaque plan est un tableau, chaque séquence une épreuve immersive. Expression parfois galvaudée, le "on n'avait jamais vu ça auparavant" prend ici tout son sens. En repoussant les limites d'un tournage en conditions extrêmes et en usant à bon escient de trucages impeccables place aujourd'hui la barre très très haute pour quiconque passera après lui.
Mais une telle démonstration de force serait bien vaine si la caractérisation de TOUS les personnages, principaux comme secondaires, ne sonnait pas aussi juste. Fonctionnant comme les deux faces d'une seule pièce, les personnages interprétés par Leonardo Di Caprio et Tom Hardy sont à la fois complexes, dénués de tout manichéisme et profondément attachants pour leur failles. Chacun dans un registre qu'il connaît sur le bout des doigts, les deux acteurs donnent tout ce qu'ils ont. Plus surprenantes encore sont les prestations de Domnhall Gleeson (qui, de Ex Machina au Star Wars de J.J. Abrams en passant par ce Revenant, s'est définitivement forgé un prénom) et Will Poulter (dont le visage poupin et le regard un peu perdu font ici merveille) parce qu'en eux repose la conscience troublée de toute une nation en devenir.
On ne manquera pas non plus de saluer le traitement réservé aux indiens et qui fait autant écho au Danse Avec Les Loups de Kevin Costner qu'au Nouveau Monde de Terrence Malick (encore lui !). Si les pionniers agissent tel une force apportant le chaos, la violence et la mort, les Arikaras sont dépeints comme les vrais seigneurs de la Terre, ne faisant qu'un avec Mère Nature. Avec une tristesse immense et sincère, c'est le viol de leur territoire tout autant que celui de leur chair que Iñarritu expose sous la froide lumière de l'Histoire.
Méritant plus d'un visionnage pour en apprécier la richesse thématique et formelle, The Revenant  n'est peut-être pas un chef d'œuvre mais c'est déjà un grand film.

Alan Wilson